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La crise de la Ve République

La crise de la Ve République

- 6 septembre 2014

Les résultats des élections européennes de 2014 en France (un taux de participation de 42,43%, le parti d’extrême droite en tête avec près de 25% des voix, moins de 14% des voix pour le parti socialiste au gouvernement) a produit tout à la fois un effet de sidération (et un flot de commentaires) mais aussi une indifférence résignée à l’égard de résultats attendus, annoncés, prévisibles. Cette grosse fatigue à l’égard de la politique instituée semble s’ajouter aux comportements de défiance ou protestataires qui progressent depuis le début des années 1990. Le meilleur signe en est probablement l’échec de la mobilisation de rue contre cet ordre d’arrivée, à l’inverse de ce qui s’était passé en 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen a été qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle.

Capture d’écran 2014-09-04 à 10.02.22.pngCet article est la version française d’un article paru dans un dossier spécial du Green European Journal intitulé «The Green Democratic Reboot». Il est accessible dans sa version originale ici: The Crisis of the fith Republic.

Retrouvez une sélection d’articles en français du nouveau numéro du Green European Journal sur le site de la Fondation de l’Ecologie Politique.

Les résultats des élections européennes de 2014 en France (un taux de participation de 42,43%, le parti d’extrême droite en tête avec près de 25% des voix, moins de 14% des voix pour le parti socialiste au gouvernement) a produit tout à la fois un effet de sidération (et un flot de commentaires) mais aussi une indifférence résignée à l’égard de résultats attendus, annoncés, prévisibles. Cette grosse fatigue à l’égard de la politique instituée semble s’ajouter aux comportements de défiance ou protestataires qui progressent depuis le début des années 1990. Le meilleur signe en est probablement l’échec de la mobilisation de rue contre cet ordre d’arrivée, à l’inverse de ce qui s’était passé en 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen a été qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle.

Comme dans d’autres démocraties européennes, la percée des populismes s’incarne dans des visages nouveaux, jeunes, des profils qui se veulent compétents et professionnalisés, mais surtout une parole qui a l’air de croire en elle-même et sa capacité d’action (sortie de l’Euro, primauté de la nation, etc). Par contraste, ce qui fait largement défaut aux discours politiques des principaux responsables des partis de gouvernement, c’est sans doute la crédibilité et la confiance dont les privent radicalement les citoyens. Le discours politique des professionnels de la politique tourne à vide, il n’est pas cru, notamment sur un retour, aussi magique qu’improbable, de la croissance et ne dessine pas d’autres perspectives.

En l’état actuel, l’Europe, sans réels visages, avec la seule ligne comptable de l’austérité, ne remplit pas ce vide démocratique. Alors que l’action publique nationale paraît largement déterminée au niveau européen, c’est l’élection d’un homme, à la présidence de la république française, qui passionne, tous les 5 ans, les Français. Par contraste avec les élections européennes, le vote pour celui qui occupera l’Elysée continue de mobiliser plus de quatre français sur cinq, au terme d’une campagne qui capte l’attention du pays sur la durée. Mais la capacité d’action de cet homme (toujours) s’avère rapidement illusoire, le rejet du nouvel élu se fait à chaque fois plus rapide et plus profonde. C’est le cas massivement pour François Hollande, élu en mai 2012 sur la promesse d’un Pacte de croissance négocié au niveau européen et aligné sur le Traité budgétaire en janvier 2013.

En Europe, il n’y a pas qu’en France que persiste ce doute sur la capacité d’action à l’échelon national alors que le potentiel relais européen paraît bien faible. Partout, se constate cette dissociation entre une démocratie politique centrée sur le niveau national et une action publique qui lui échappe largement. Mais la variante hexagonale de la défiance à l’égard des représentants politiques paraît désormais mêlée à une froide colère et un mépris inquiétant. On en viendrait presque à espérer que l’emporte l’indifférence.

Sans doute, les institutions de la 5e République peinent depuis trop longtemps à s’adapter aux comportements politiques tels qu’ils s’expriment depuis le début des années 1990, aux idéaux démocratiques vivaces qui traversent, aussi, le pays. La responsabilité de ceux qui vivent de et pour la politique est en cause, tant ils sont attachés à défendre ce qu’ils croient être leurs intérêts et figent toute évolution.

L’élection du Président de la République au suffrage universel direct façonne le fonctionnement de cette 5ème République, qui date de 1958 et du général de Gaulle. Doté de pouvoirs étendus, il est, une fois élu et durant le temps de son mandat, irresponsable politiquement. Le rôle du Parlement est moindre en France que dans la plupart des régimes parlementaires européens. La culture de la discussion n’en sort pas renforcée. Dans les collectivités locales, dont les strates ont été multipliées au cours des dernières décennies, le Président local (d’une mairie, d’une intercommunalité, d’un département, d’une région) est une caricature du premier. Le présidentialisme local ne constitue pas un terreau favorable à la discussion, la délibération, que ce soit entre élus ou avec les citoyens. En dépit des efforts accomplis ces dernières années pour favoriser l’essor d’une participation des citoyens, ils butent sur un pouvoir local à la fois fort et émietté.

Les aspirations des Français à davantage de démocratie et de participation s’expriment pourtant de mille manières et notamment par les résultats massifs d’un récent sondage (TNS Sofres, juin 2014). L’exercice d’un pouvoir plus horizontal, fait de discussion et de délibération autour de décisions publiques, bute sur une conception verticale du pouvoir, issue de l’élection au suffrage universel direct, et qui accouche pourtant d’un chef paradoxal, sans pouvoir … Les résistances à limiter le cumul des mandats, contre une opinion publique constamment mesurée, illustrent l’attachement des parlementaires, le plus souvent aussi patrons de collectivité locale, aux enjeux corporatistes de la représentation politique. Les lois de décentralisation comme les règles institutionnelles de la politique en portent la marque et il n’est pas certain que la réforme sur le cumul des mandats engagée par François Hollande, limitée et différée dans le temps, suffise à ouvrir suffisamment la démocratie politique.

Cette élection présidentielle assèche par ailleurs les partis politiques qui ne vivent que pour désigner un champion à la course suprême et pour placer élus et salariés dans les collectivités locales. Centrés sur leurs enjeux électoraux, les partis politiques semblent avoir abandonné toute ambition doctrinale. Ils suscitent de la répulsion chez les Français qui sont à peine 1% à y adhérer. Les partis politiques de gouvernement sont peuplés d’élus, de futurs élus et de salariés politiques. La professionnalisation de la politique, qui historiquement a accompagné la massification sociale de la politique (en permettant aux non-fortunés d’en vivre) se révèle aujourd’hui la plus sûre voie de son rétrécissement social, peu d’individus se sentant attiré par cet univers (ou autorisé à y pénétrer). Il s’en suit que les français ne se sentent pas (ou mal) représentés.

Des réformes importantes ont été menées au cours des années 2000, comme la parité en politique qui permet une démocratie représentative davantage sexuée alors que la démocratie française exclut historiquement les femmes. Les têtes de liste sont aujourd’hui davantage attentives aux « couleurs de la représentation » sur leur liste, un peu plus aux jeunes aussi, mais les catégories populaires demeurent les oubliées de la représentation. Un peu plus représentatifs de la diversité de la société française, les représentants politiques sont perçus comme mus principalement par les intérêts de la profession, peu ou pas préoccupés des problèmes de la vie quotidienne et plutôt corrompus, ce que ne pourront démentir quelques récents scandales.

Depuis longtemps, des universitaires, des groupes citoyens, des partis politiques (Europe Ecologie les Verts, le Front de Gauche) militent pour une VIème République, parlementaire et participative. Mais le refus explicite de changer les règles du jeu politique par ceux qui le jouent ou le ralliement à la 5ème République de ceux qui l’ont combattue (de François Mitterrand à Arnaud Montebourg) semblent rendre vaines ces tentatives épisodiques. Est-il aujourd’hui trop tard ? Les conditions sont-elles réunies pour qu’émerge un individu (Vème république oblige) porteur d’une VIème République participative et parlementaire, au diapason des aspirations citoyennes ? A-t-on raté le cap après le 21 avril 2002 et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, qui demeure un traumatisme pour beaucoup ? Une « crise de la démocratie représentative », qui dure désormais depuis plus de 30 ans, est le signe d’un changement profond et durable de la démocratie politique.

La crispation des représentants politiques les plus professionnalisés à défendre ce qu’ils perçoivent comme leurs intérêts de représentants empêche l’adaptation suffisante du système politique aux changements intervenus dans la société (progression de l’éducation, des capacités critiques, individuation, participation active sur Internet, multiplication des medias etc). Marine Le Pen répond aux aspirations démocratiques par des appels au peuple, aux perdants de la mondialisation, des engagements en faveur de référendums et initiatives populaires, et par des dénonciations de la « classe politique » UMPS. Elle le fait efficacement, en y croyant, en étant crue, et en souriant.

Alors que l’Europe ne dessine pas de perspectives démocratiques, de croissance et d’avenir, tout en paraissant désarmer le Président de la République, ce monarche républicain, il n’est pas certain que la France sorte vite de sa dépression politique. Si l’Europe était écologique, sociale, démocrate et libertaire, cela aiderait grandement…

Marion Paoletti est maître de conférence en science politique à l’Université Montesquieu – Bordeaux IV et membre du Conseil scientifique de la Fondation de l’Ecologie Politique.

Illustration: licence CreativeCommons 2.0 par Bertrand https://www.flickr.com/photos/30284229@N08/4968897673/in/set-72157624904721722

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