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Ecolo. La démocratie comme projet. De Benoît Lechat

Ecolo. La démocratie comme projet. De Benoît Lechat

- 17 septembre 2014

Longtemps présenté et perçu comme un parti pas comme les autres, Ecolo a réussi en 30 ans à se faire sa place parmi les quatre « grands » partis dans le paysage politique belge francophone.

Benoît Lechat, membre du Conseil scientifique de la Fondation de l’Ecologie Politique et directeur de publication de la fondation belge Etopia, vient de faire paraître le premier tome de sa vaste étude historique sur le parti vert belge Ecolo (1970-1986: Du fédéralisme à l’écologie). Nous reproduisons ici la recension de l’ouvrage effectuée pour le Green European Journal par Aurélie Maréchal, directrice de la Fondation Verte Européenne.

Capture d’écran 2014-09-17 à 14.01.39.pngLongtemps présenté et perçu comme un parti pas comme les autres, Ecolo a réussi en 30 ans à se faire sa place parmi les quatre « grands » partis dans le paysage politique belge francophone. Beaucoup peinent dès lors aujourd’hui à saisir la spécificité du parti, tant le développement durable semble avoir été adoptés par tous. Dans son livre « Ecolo, la démocratie comme projet », Benoit Lechat entreprend un fascinant voyage dans le temps sur les traces de la naissance et des premiers pas d’Ecolo.

A travers ce récit passionnant, riche de témoignages, de mises en perspective historiques et de comparaisons européennes avec les autres partis écologistes émergents à la même période, on comprend mieux que l’originalité du mouvement et parti écologiste réside avant tout dans la manière dont il conçoit, décline et met en pratique le principe de démocratie. L’exigence de démocratie, assumée dès le départ comme moyen et comme fin de l’action politique, implique un véritable parcours du combattant pour les fondateurs, tant en interne qu’en externe, et nous offre une clé de lecture de l’histoire, riche d’enseignements pour l’écologie politique aujourd’hui.

Ce premier tome couvre les deux premières époques de l’histoire d’Ecolo. En parcourant la première (1970-1979) on découvre comment les précurseurs d’Ecolo sont passés « du fédéralisme à l’écologie », au travers la création successive et la coexistence de différentes organisations associatives et politiques (principalement Démocratie Nouvelle et les Amis de la Terre). Avant que l’écologie politique trouve une incarnation politique stable dans Ecolo, ce sont au départ les idées de renouveau démocratique et de fédéralisme intégral qui ont motivé l’engagement de nombreux militants. Si la conscience environnementale, à travers notamment la lutte anti-nucléaire et l’opposition aux conséquences de la société industrielle sur la nature, anime ceux-ci, elle ne constitue pas directement le socle de leur rassemblement en force politique structurée.

La deuxième époque, intitulée « Entre rupture et institutionnalisation », s’ouvre avec la création d’Ecolo en 1980, et se poursuit avec sa structuration interne progressive et le développement d’un programme et d’une idéologie propre jusqu’en 1986. C’est la période des premières participations à l’exercice du pouvoir, relatée à travers les faits d’armes et paradoxes de l’action des premiers parlementaires et élus locaux. Dès le départ, des tensions internes apparaissent au sein de la toute jeune structure, qui cherche difficilement un équilibre entre participation et opposition au système, entre démocratie participative en interne et exigence d’efficacité, entre radicalisme du positionnement et réalisme du jeu politique.

Le fédéralisme aux sources de la politique autrement

Ecolo, et son homologue néerlandophone Groen, défendent actuellement le fédéralisme et la solidarité nationale. Il peut donc être surprenant de constater que les écologistes belges sont d’abord nés régionalistes. Les précurseurs d’Ecolo et une des pièces centrales de son idéologie sont à trouver dans le parti Rassemblement Wallon (RW). Né à la fin des années 60, en pleine crise institutionnelle et industrielle, RW entend défendre les ouvriers wallons contre les décisions du gouvernement national belge, court-termistes et conservatrices, incapables de faire face aux changements structurels à l’œuvre dans la société. RW développe l’idée du fédéralisme intégral comme moyen de redonner aux « cellules de base démocratisées » telles que les écoles ou les entreprises l’autonomie dans les décisions qui les concernent, et de valoriser la diversité de ces communautés multiples. Singulièrement, dans cette doctrine, le niveau national est appelé à disparaitre à la faveur d’une Europe des régions.

En 1973, quelques membres exclus de RW, créent Démocratie Nouvelle (DN), qui reprend le principe du fédéralisme intégral et l’étend à l’organisation interne et au fonctionnement du mouvement. Cette idée survivra dans l’association des Amis de la Terre qui lui succédera avant de donner naissance à Ecolo, et qui l’articulera avec le principe d’autogestion, moteur de ce qui était déjà présenté à l’époque comme la transformation écologique de l’économie et de la société.

Le fédéralisme intégral sera donc naturellement source d’inspiration pour les propositions politiques d’Ecolo mais plus fondamentalement pour son organisation interne. En résumé, ce principe signifie de créer une structure qui permet une prise de responsabilité et de pouvoir la plus égalitaire possible entre tous ses membres. La structure et le fonctionnement du parti font donc l’objet de nombreux débats lors de sa création et ses premières années d’existence pour tenter d’atteindre un équilibre entre envie efficacité pour peser sur le réel, et crainte d’accaparement du pouvoir, des idées ou de la parole par quelques-uns.

Au départ « faire de la politique autrement » signifie donc avant tout redistribuer le pouvoir en interne, condition sine qua non d’une transformation de la société. Ce n’est que secondairement, à l’arrivée des premiers élus Ecolo au Parlement en 1981, que cette notion prend également un sens externe. Il s’agit alors de renouveler la démocratie en se battant pour plus d’éthique dans les pratiques politiques, et de susciter l’intérêt et la participation des citoyens pour la politique, notamment par des actions symboliques et ludiques.

Ecolo est-il environnementaliste ?

Capture d’écran 2014-09-17 à 14.04.16.pngContrairement à ce que l’on peut imaginer, Ecolo n’est donc pas né directement d’un mouvement de protection de la nature même si, dès la fin des années 60, on assiste à une prise de conscience progressive de l’impact des sociétés humaines sur notre environnement et des conséquences globales de la dégradation de celui-ci. Le mouvement contre le nucléaire est au cœur des luttes tandis que de nombreuses initiatives locales s’organisent autour d’oppositions à de grands projets industriels qui détruisent ou perturbent le cadre de vie quotidien. En 1971, Inter-environnement est créé en Belgique francophone et entend agir comme groupe de pression.

Au fur et à mesure, cette conscience écologique est articulée de plus en plus précisément à une critique du système économique et des structures de pouvoir qui le cautionne. Chez les précurseurs d’Ecolo, à DN notamment, c’est donc plus l’inscription des sociétés humaines dans leur environnement naturel qui intéresse, plutôt que la sauvegarde d’une nature « pure » dans une logique de conservation du patrimoine. En 1976, la création des Amis de la Terre rassemble des personnes avec une sensibilité démocratique (issues de DN) et écologique. Son manifeste est autogestionnaire, fédéraliste et anti-capitaliste. Ils reprocheront régulièrement au mouvement environnementaliste son apolitisme et son manque de vision globale, intégrant une critique sociale du système actuel.

Au sein de la galaxie verte, une tension apparait entre idéal d’autogestion et réalité de la démocratie représentative, entre développement de la sphère autonome et contraintes socio-culturelles présentes. L’attachement coute que coute à la démocratie et à l’autogestion peut rentrer en conflit avec l’exigence environnementale et inversement. Dès la création d’Ecolo, ses membres savent que s’ils veulent transformer le réel – et c’est leur but – ils prennent « le risque de se heurter tôt ou tard au ‘monde vécu’ de la société consumériste » (p.179).

En somme, les écologistes pensent qu’un changement radical de système et de valeurs est nécessaire pour ancrer la vie humaine de manière harmonieuse dans son cadre naturel. Néanmoins, ils sont bien conscients que la nécessité d’un changement global peut très vite rentrer en tension avec les choix et libertés individuelles, et avec le contexte culturel actuel. C’est bien parce qu’ils veulent à tout prix ne pas tomber dans des solutions autoritaires qu’ils placent la démocratie comme garde-fou de toutes leurs décisions, quitte à perdre en efficacité, ou à être témoins d’un changement plus lent et moins radical que ce qu’ils souhaiteraient.

Ecolo est-il de gauche ?

Contrairement à ce que l’on peut croire, les écologistes ont eu dès le début un projet global de société à proposer. Chez les précurseurs la critique de la destruction de l’environnement est couplée à, voire précédée de, la volonté de réorienter le développement industriel wallon et le système économique global. Ensuite, les propositions socio-économiques concrètes élaborées dans les premières années d’existence d’Ecolo concernent des thèmes comme la reconversion industrielle, la réduction du temps de travail, la fiscalité, l’aménagement du territoire, les économies d’énergie et la relocalisation de l’économie. Sur le social, Ecolo défend la solidarité y compris en l’élargissant au niveau planétaire, devenant le premier parti à parler des questions d’immigration et de droits des étrangers.

Mais ce qui caractérise le projet d’Ecolo c’est avant tout son côté radicalement démocratique, notamment à travers le développement de la ‘sphère autonome’ qui vise à créer un pôle autogéré hors de la marchandisation et du centralisme d’Etat. La réduction du temps de travail, le développement de biens communs, les mesures alternatives de la richesse ou encore l’allocation universelle se trouvent au centre du projet – non sans susciter de débats voire d’incompréhension en interne. Si DN et puis les Amis de la Terre étaient clairement anticapitalistes, Ecolo ne se situera pas face à cette notion, ni non plus sur le classique axe gauche-droite.

Si le projet écologiste est en théorie rassembleur et innovant, en situant son combat et ses solutions hors du cadre classique, Ecolo peine à se faire comprendre du grand public et à donner les clés d’une identification des « vrais » gens à celui-ci. S’il est clair pour les écologistes que la défense de l’environnement et le nouveau projet de société ne peut être réservé à une classe de privilégiés, la sociologie de ses militants et élus ne témoigne pas d’une proximité réelle avec la masse des opprimés de tous bords qu’ils veulent défendre.

De manière plus structurelle, se pose la question de savoir « Où sont les mouvements en construction dont il faudra être la traduction politique ? » (p.150). C’est vrai pour les combats environnementaux (cf. supra) ; c’est vrai aussi pour les combats sociaux, qui ne peuvent s’appuyer ni sur un pilier institutionnel structuré (comme les socialistes), ni sur une conscience de classe (comme les communistes). Les luttes sont plus diverses, le contexte plus complexe, et les adversaires moins bien identifiés. En outre, en plaçant l’autonomie et la liberté du choix des individus au centre de son projet et de son identité, Ecolo rend lui-même plus difficile l’articulation avec les acteurs qu’il est censé représenter.

Contradictions et défis : Ecolo, un parti comme les autres ?

Si Ecolo se veut porteur de solutions, force est de constater que son étiquette de « moralisateur » lui colle à la peau. Aussi injuste que cela soit, il est vrai que l’alternative écologiste apparait de prime abord comme rébarbative et liberticide. C’est donc par l’approfondissement de la démocratie que les écologistes doivent tenter avant tout de résoudre la tension entre transformation radicale de la société et respect des libertés et choix individuels. Néanmoins, il serait naïf de croire que c’est en redistribuant le pouvoir au peuple que celui-ci va automatiquement devenir acteur du changement. Au désintérêt, voire au dégout généralisé pour la politique institutionnelle, s’ajoute une caractéristique exacerbée de la société post-industrielle, à savoir que « la domination capitaliste ne s’exerce plus uniquement dans les rapports entre classes, mais aussi à travers l’adhésion de chacun à un imaginaire de croissance, de consommation et de progrès technique » (p.187). Le vrai défi aujourd’hui se situe donc dans l’articulation avec les mouvements sociaux de tous horizons, et dans le travail de reconnexion de pédagogie, et de construction de confiance avec les citoyens

Présentés comme des doux rêveurs et des incapables, les écologistes ont pourtant dès le début proposé un projet de société global. Mais « c’est sans doute précisément parce qu’ils osent cette critique d’un système en plein déclin que leurs adversaires s’acharneront à les caricaturer en défenseurs des petits oiseaux » (p.123). Aujourd’hui, si la caricature persiste, on se demande parfois où est passée la critique… Car, si les obstacles externes sont nombreux, la première étape du renforcement et de l’expansion des écolos passe par la redécouverte du sens de l’expression « la politique autrement » pour eux-mêmes. Cela signifie une redistribution du pouvoir en interne et une réouverture du débat pour redécouvrir la radicalité du projet et l’incarner autrement vers l’extérieur.

Aurélie Maréchal est directrice de la Green European Foundation.

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