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Les Gilets jaunes, anti-écologistes ? Ce que disent les sciences sociales

- 2 février 2024

Le mouvement des Gilets jaunes a été présenté comme un mouvement anti-écologiste. Basée sur une enquête pluridisciplinaire menée depuis 2018, cette note vient contester ce discours conventionnel. Quels rapports à l’écologie chez les Gilets Jaunes et plus largement dans les classes populaires ? A rebours des propos justifiant l’inaction écologique par une supposée opposition des classes populaires, les différents éléments proposés ici ouvrent des perspectives de politiques publiques écologiques et socialement justes.

Depuis plus de trois décennies, les climatologues préconisent presque unanimement la mise en œuvre rapide de politiques de rupture et de long terme en matière de changement climatique 2021, (Houghton et al. 1993; Intergovernmental Panel On Climate Change 2023). En 2023, les membres du Haut Conseil pour le Climat ont formulé des préconisations plus précises pour « acter l’urgence » et « engager les moyens » pour y parvenir (Haut Conseil pour le Climat et al. 2023). Ces politiques peuvent être mises en place de différentes manières et avec différents outils dont la légitimité et l’efficacité sont vivement discutées (Cashmore et Wejs 2014; Martin et Islar 2020). L’usage de la taxation pour accélérer la transition environnementale est souvent présenté comme un des outils principaux par de nombreux économistes (voir par exemple : Stiglitz et al., 2018) et environnementalistes mais elle fait face à une forte opposition du public (Carattini, Carvalho, et Fankhauser 2018; Mehleb, Kallis, et Zografos 2021). Si le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) a atteint un consensus sur la nécessité d’agir, il n’existe rien d’équivalent dans le champ politique sur la manière d’agir. 

La séquence ouverte par les premières manifestations des Gilets jaunes en novembre 2018, fondée initialement sur le rejet de l’augmentation des taxes sur le carburant, constitue sans doute l’exemple le plus profond de l’élargissement du champ de la contestation. Quelles raisons amènent les personnes à s’opposer à certaines politiques publiques présentées comme écologistes ? Il peut être tentant de limiter ces réactions à du simple anti-écologisme. Nous remettons en cause ce postulat et défendons qu’une contestation ne peut être comprise sans tenir compte des intérêts avec lesquels la mesure entre en conflit, tels que la consommation privée, l’emploi, la croissance économique, d’une part, et les intérêts sociaux, d’autre part (Jamison 2010; Kuyper, Linnér, et Schroeder 2018). Dans un contexte d’augmentation des inégalités réelles et perçues (Chancel 2020), la taxation environnementale est également accusée de faire reposer la responsabilité d’une écologisation des comportements sur les classes moyennes et populaires qui ne peuvent se permettre des modes de vie plus écologistes, financièrement parlant (Hsu 2022)

Le mouvement social des Gilets jaunes (GJ) offre un ainsi un aperçu unique des motifs de contestation de certaines des politiques publiques menées au nom du climat – celles qui ne s’appuient que sur des instruments fondés sur le marché et les prix (Sterner 2011). Déclenché à la fin de l’année 2018 par une décision du gouvernement français d’augmenter le montant des taxes sur le carburant automobile, le mouvement a d’abord été décrit comme anti-écologiste et comme affilié aux mobilisations antérieures d’opposition aux taxes environnementales (les Bonnets rouges, par exemple). Ce genre de considérations a notamment été exprimé, au début du mouvement, par plusieurs ONG environnementales défendant l’augmentation des taxes sur les carburants (Mehleb et al., 2021). Le soutien stratégique aux GJ exprimé par plusieurs responsables climatosceptiques de droite, dont D. Trump aux États-Unis, J. Bolsonaro au Brésil et M. Le Pen en France (Driscoll 2023), a corroboré ce point de vue.

En s’appuyant sur différents types de données (cf. Annexe 1) sur les caractéristiques du mouvement des Gilets Jaunes et leurs conceptions de l’écologie, nous montrons que leur rapport à l’écologie est plutôt représentatif de la population française générale, mais qu’elles et ils sont particulièrement concerné.es par une mise à distance de “l’écologie institutionnelle”(1). La coexistence d’un bloc écologiste et d’un bloc anti-écologiste n’est pas propre au mouvement. En effet, nous rappelons que les taxes carbone mobilisent des contestataires de droite, réticent.e.s à la taxation en général, mais aussi des activistes de gauche, sensibles aux questions de justice sociale et à la crise climatique (2). De plus, les interactions locales avec des mobilisations écologistes entraînent des variations spatiales et des changements dans le temps du rapport des Gilets Jaunes à la question environnementale. Enfin, nous soulignons l’existence de différents rapports à l’écologie au sein de groupes sociaux dominés (3). La conclusion tire des enseignements sur les moteurs des contestations aux politiques climatiques et ouvre des perspectives de réflexion sur ce sujet. 

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