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Que faut-il penser de l’Accord de Paris?

- 14 décembre 2015

Que penser de l’Accord de Paris?

Pour tirer les premiers enseignements de l’Accord de Paris sur le climat, la Fondation de l’Ecologie Politique a demandé à des spécialistes des questions liées aux politiques climatiques ayant suivi de près les négociations, de partager avec nous leurs avis sur le texte final.




Accord de la COP21: des avancées majeures, des progrès encore à réaliser

Par Henri LANDES, Maître de conférence à Sciences Po & Thomas PORCHER, Docteur en économie

Hier, les dirigeants du monde entier ont fait un énorme pas en avant. Pour la première fois de l’histoire, tous les pays se sont engagés à réduire collectivement leurs émissions de gaz à effet de serre pour que le réchauffement de la planète reste « bien en deçà de 2 degrés, voire sous 1,5 degré », d’ici 2100.

Cet accord est également juridiquement contraignant sur certains aspects. Les pays devront désormais se retrouver tous les cinq ans pour évaluer l’effort global et revoir leurs objectifs nationaux à la hausse. Enfin, l’accord prévoit davantage d’aide financière des pays développés en direction des pays en développement.

Mais l’accord reste incomplet. C’est un des paradoxes du texte, comment peut-on clamer un objectif à 2 degrés, voire à 1,5 degrés, si les contributions actuelles des États nous amènent à une trajectoire bien au-dessus, autour de 3 degrés ? La réalité est que le texte de Paris reporte de nouvelles décisions à 2023, alors que les recommandations du GIEC préconisent le pic des émissions mondiales à 2020 au plus tard. Enfin, le montant alloué aux pays du sud d’un minimum de 100 milliards de dollars par an reste ridicule en comparaison des subventions aux énergies fossiles. Rappelons que les pays de l’OCDE responsables de 2/3 des émissions de CO2 au 20ème siècle ont encore 800 plans de subventions des énergies fossiles.

L’Accord de Paris est historique parce qu’il établit le même processus contraignant pour tout le monde sur la préservation du climat. Les Chefs d’État et leurs négociateurs ont indéniablement évité certaines erreurs du passé. Cependant, ils ont également évité d’inclure des éléments essentiels et concrets, comme le prix du carbone ou des mesures précises sur la substitution des énergies fossiles par les énergies renouvelables. Face à un problème qui avance plus rapidement que les décisions politiques depuis 25 ans, les négociations sur le changement climatique devront accélérer.

Henri Landes est Maître de conférences à Sciences Po, co-fondateur et ancien président de CliMates,

Thomas Porcher est Docteur en économie, professeur associé à la Paris School of Business et enseignant à l’Université Paris-Dauphine.

Ensemble, ils sont les auteurs du livre Le déni climatique, Max Milo Editions, 2015.


‘L’accord de Paris est un réel progrès, sur lequel nous devons appuyer nos dynamiques d’action’

Par Ronan DANTEC, sénateur écologiste

Evaluer un texte d’accord mondial sur le climat n’est jamais aisé, l’ensemble étant le fruit d’un compromis complexe entre intérêts nationaux contradictoires, lectures géopolitiques antagonistes. Il faut cependant savoir trancher, ma réponse est donc claire : oui cet accord de Paris est un réel progrès, sur lequel nous devons appuyer nos dynamiques d’action.

Cinq points me semblent pouvoir être soulignés :

  • 1. L’AFFICHAGE D’UN CONSENSUS NATIONAL

Aboutir à un accord contraignant et à vocation universelle est déjà un véritable succès, qui dit au monde la nécessité absolue de lutter contre le changement climatique. C’est une défaite pour tous les lobbys, notamment ceux des énergies fossiles, qui tentent depuis des décennies de ralentir toute transition énergétique.

  • 2. DES OBJECTIFS AMBITIEUX

En reconnaissant la nécessité de renforcer l’effort pour limiter l’augmentation des températures sous les 1,5° Celsius, les 196 parties renforcent l’ambition, et surtout soulignent l’urgence de l’action. Tenir cet objectif est un défi très difficile, mais il est désormais inscrit dans les objectifs de la communauté internationale (n.b. les décisions de la COP comprennent la demande d’un rapport spécial du GIEC sur les enjeux du 1,5°, ce qui renforce la prise de position).

  • 3. DES MECANISMES DE REVISION ASSEZ RAPIDES

Nous savons que les contributions volontaires des Etats sont insuffisantes et nous placent sur une trajectoire insupportable vers les 3°C d’augmentation. Aussi, la rapidité des révisions est essentielle pour l’avenir. Dès 2018, les parties devront refaire le point sur leurs contributions (s’appliquant à partir de 2020), et en 2023, un état des lieux plus complet. Avec les actions engagées dès 2015 c’est bien à une généralisation des actions concrètes que doit aboutir l’accord.

  • 4. UN TRAVAIL ETROIT AVEC LES ACTEURS NON-ETATIQUES

Un chapitre complet de l’accord de Paris est consacré à ce sujet, avec des travaux d’expertise intégrant l’expérience des acteurs non-étatiques et le renforcement du « Lima Paris Action Agenda », l’agenda des solutions porté par les collectivités territoriales, les entreprises, les associations.

  • 5. LIER CLIMAT ET DEVELOPPEMENT

Le lien entre les objectifs de développement durable (adoptés en septembre à New-York) et l’accord de Paris sur le climat est évident mais a tardé à être confirmé. L’accès à l’énergie pour les pays en développement à travers le déploiement des énergies renouvelables, les 100 milliards de dollars annuels de soutien au sud (pour l’atténuation et l’adaptation) et une première intégration de la question des « pertes et dommages » pour les pays les plus vulnérables, sont des paragraphes clefs du texte, des victoires importantes. Cette convergence des agendas climat et développement devra encore être crédibilisée par des mécanismes concrets. Elle trace cependant un nouvel horizon de la communauté internationale, pour un monde déclinant du local au global, coopération et solidarité.

Ronan Dantec est sénateur écologiste de Loire-Atlantique. Il est membre du Conseil d’orientation de l’Observatoire National sur les Effets du Réchauffement Climatique en France métropolitaine et dans les départements et territoires d’outre-mer (ONERC), porte-parole climat du réseau mondial de villes (CGLU). Il est l’auteur avec Michel Delebarre, sénateur du Nord, d’un rapport de 2013 intitulé « Les collectivités territoriales dans la perspective de Paris Climat 2015: de l’acteur local au facilitateur global ».


Cet accord définit la gare d’arrivée mais pas les rails pour l’atteindre

Par Catherine JEANDEL, géochimiste et océanographe au CNRS

L’accord de Paris vient d’être signé par tous…195 pays, quelle aventure humaine, quel beau moment historique. Accorder des intérêts aussi divergents que ceux de l’Arabie Saoudite et de Madagascar, il est clair qu’il ne pouvait satisfaire toutes les exigences à 100%.

Malgré ces nombreux obstacles, il pose des engagements mondiaux majeurs comme l’objectif de «rester en dessous des 2°C (par rapport à la température de 1850), voire ne pas dépasser les 1,5°C», les 100000 USD inscrits comme « plancher annuel» à verser à partir de 2020 des pays développés vers les pays en voie de développement, une révision à la hausse des engagements tous les 5 ans…

Cependant, nous, chercheurs et acteurs de la société civile, savons qu’il reste encore beaucoup de choses à faire, que cet accord définit la gare d’arrivée mais pas les rails pour l’atteindre.

D’après les derniers rapports du GIEC, l’objectif 1,5°C nécessite d’arrêter dès aujourd’hui toutes les émissions de gaz à effet de serre. Ne pas attendre 2020, s’y mettre dès à présent. Or les contributions actuelles des engagements des 180 pays qui ont rendu leur copie pour la COP21 ne permettent d’atteindre que la moitié de ces objectifs…il faut que chacun révise encore ses efforts ! Ceci dit, l’accord de Paris crée une dynamique exceptionnelle, pour la mesurer, imaginons simplement qu’il n’ait pas eu lieu. Les débats ont aussi souligné combien la société civile, les citoyens du monde entier, étaient prêts à se mobiliser.

Et c’est sans doute sur ce volet que je veux le plus insister: le message principal que nous portions auprès de tous avec le «Train du Climat» (www.messagersduclimat.com), est que les citoyens ne peuvent et ne doivent tout attendre des gouvernements. Que chacun peut dès aujourd’hui et selon ses moyens baisser la température du chauffage, ne pas climatiser, enfourcher un vélo pour les petites distances, co-voiturer, diminuer sa consommation de viande, isoler sa maison…que l’agriculture peut adopter des techniques bien moins émettrices (et plus rentables !) très rapidement. Il s’agit donc d’une mobilisation politique citoyenne au sens large: nous sommes tous acteurs !

Mais dans la dynamique créée par l’accord de Paris, nous savons aussi que nous ferons ces choses car l’énergie n’est plus fossile, elle est humaine, elle est notre!


Catherine Jeandel est Directrice de recherches au CNRS, elle étudie la géochimie marine, discipline qui contribue à comprendre le fonctionnement de l’océan et son rôle sur le climat. Dans le contexte du réchauffement global de la planète, les enjeux scientifiques autour de l’océan sont majeurs. Catherine aime parler de sa passion d’océanographe à tous les publics, y compris ceux à l’écart de l’accès à la culture scientifique, comme par exemple en milieu carcéral ou hospitalier.


Un ‘Compromis Parfait’

Par Pierre DUCRET, Président de l’Institut pour l’Economie du Climat – I4CE

L’Accord de Paris fera date dans l’histoire.

Premier accord de l’époque Anthropocène, l’accord de Paris constitue le premier pas d’une écologie politique mondiale puisque l’humanité s’y donne explicitement comme devoir de ne plus émettre de gaz à effet de serre au-delà de la capacité d’absorption de la biosphère à compter de la 2e moitié du siècle. C’est la condition de possibilité de l’adaptation des sociétés au changement climatique et cela suppose de faire basculer l’ensemble de l’économie mondiale vers un nouveau modèle. En philosophie politique, l’accord de Paris sur le climat est le premier exemple de triomphe du ‘principe responsabilité’.

Evénement sans précédent dans l’histoire des relations internationales, sa portée dépasse le seul sujet du climat. Il peut en effet être considéré comme un acte de sortie de l’ère postcoloniale puisque sa construction, en tant qu’accord universel, repose sur la réalité complexe des différents groupes de pays et de leurs rapports de forces. Il constitue le premier exemple d’adoption d’une feuille de route et d’une méthode de mise en œuvre des objectifs du développement durable adoptés en septembre 2015 à New York auxquels il apporte de ce fait une réelle crédibilité.

Accord multilatéral combinant réalpolitique, au sens où il traduit les intérêts respectifs des Etats et reconnait leurs « circonstances nationales », création de mécanismes de contrôle supranational, reconnaissance du rôle majeur des acteurs non étatiques, et singulièrement de la finance, il ne fait preuve d’aucun angélisme ni d’aucune illusion lyrique mais repose au contraire sur une vision lucide de l’état du monde et de l’ampleur des défis à relever.

La diplomatie française en a été l’artisan majeur. Elle a su prendre la mesure du sujet le plus complexe du siècle, et a été à la hauteur du moment. A force de travail, d’écoute active, d’intelligence et d’humilité, elle s’est attiré la confiance et le respect du monde entier. La présidence française de la conférence sur le climat a montré le meilleur visage du pays et de sa place dans le monde d’aujourd’hui : ouvert, expérimenté, subtil, généreux et dénué de toute arrogance.


Pierre Ducret. Contrôleur général – Conseiller Climat et COP21 du Groupe CDC Caisse des dépôts. Président de l’Institut pour l’Economie du Climat – I4CE.


L’accord de Paris – le train vers la décarbonisation se met en route, avec des rails encore en construction

Par Kathrin GLASTRA de la Fondation Heinrich Böll

Au risque de répéter ce qui a déjà été dit: c’est un accord historique qui a été conclu samedi dernier au Bourget. Pourquoi historique ? Parce que, dans un monde de plus en plus compliqué avec une accélération des crises à l’échelle globale, nationale et locale (surtout à Paris, ville hôte de la COP21), 195 Etats contractants se sont mis d’accord à travers un processus dur et long. Et le résultat ne marque pas moins que le début d’une nouvelle ère dans la lutte globale contre le changement climatique. L’accord de Paris montre, pour la première fois dans l’histoire de la CCNUCC, une bonne direction et un signal universellement important. Mais cet accord est loin d’être parfait ou suffisant.

On pourrait bien le comparer à un nouvel modèle de train qui a été construit au cours des dernières années par des techniciens venant des différents pays, parties prenantes aux négociations. Avec l’assistance impressionnante des chauffeurs français, le premier départ de ce train est intervenu samedi dernier. La direction – ou ici l’objectif de long-terme – est bien défini : arriver à limiter le réchauffement planétaire bien en-dessous de 2° Celsius et construire un avenir bas carbone et durable.

Par contre, le train et les rails sur lesquels il démarre souffrent de quelques défauts de construction: d’abord, l’absence dans l’Accord de concepts clés comme la décarbonisation et l’investissements dans les énergies renouvelables, ou bien de l’inclusion des secteurs maritime et de l’aviation parmi les principaux acteurs à devoir s’efforcer de réduire les émissions de GES (gaz à effet de serre). Aussi, l’ambition en ce qui concerne l’adaptation, les pertes et dommages et l’augmentation des moyens financiers n’est pas assez élevée – surtout pour les pays les plus vulnérables et pauvres qui en ont besoin le plus.

En même temps, l’intention et la direction de cet accord sont plus claires que jamais. Pour atteindre ses objectifs les pays doivent maintenant s’efforcer de passer à l’action.

Le train démarre lentement son trajet et beaucoup plus d’actions devront être mises en oeuvre pour qu’il reste sur de bonnes rails. Ce n’est que le début d’un voyage incontournable.


Kathrin Glastra dirige le Programme ‘Transition Énergétique Européenne’ du bureau bruxellois de la Fondation Heinrich Böll, fondation politique allemande proche du parti Les Verts.


Il faut accélerer la transition

Par John WISEMAN, Directeur adjoint du Melbourne Sustainable Society Institute de l’Université de Melbourne

L’Accord de Paris sur le climat, adopté lors de la COP21 le 12 décembre, signale la fin de l’ère des énergies fossiles et ouvre la porte à une transition rapide vers une économie zero-carbone mondiale à la fois juste et résiliente.

Cependant, la vitesse de cette transition doit absolument être accélérée si nous voulons combler le gouffre qui existe entre les engagements des états à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et les actions indispensables à mettre en œuvre pour limiter le réchauffement à 1,5°C. L’Accord engage les signataires à « contenir l’élévation de la température de la planète en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C ».

L’Accord inclus le but de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effets de serre au cours de la deuxième moitié du siècle ».Comme l’a énoncé John Schellnhuber, le Directeur de l’Institute for Climate Research, si cette close est mise en œuvre, « cela signifie abaisser les émissions de gaz à effet de serre à un niveau net de zéro en quelques décennies ».

Le véritable défi est maintenant d’accélérer encore la redirection des investissements mondiaux pour les industries des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’agriculture bas-carbone et les villes résilientes climatiquement.

Il est enfin important de souligner que la COP21 a montré le leadership et la créativité dont font preuve les communautés, les villes et les entreprises pour conduire vers la décarbonisation. L’étalage d’actions et d’engagements de leaders et de gouvernements locaux et régionaux à Paris démontre que ce sont eux qui peuvent changer la donne.


John Wiseman est Directeur adjoint du Melbourne Sustainable Society Institute (MSSI) de l’Université de Melbourne. Vous pouvez retrouvez ses articles sur le blog du MSSI consacré à la COP21: http://sustainable.unimelb.edu.au/cop21blog


Tout reste à faire pour l’Afrique

Par Benjamin BIBAS et le collectif Wangari Maathai, coordinateurs de la Note de la FEP ‘COP21: Réparer l’injustice climatique en Afrique

Il faut saluer l’accord de Paris issu de la COP21. Validé par la totalité des 195 pays, il est le fruit d’une méthode de travail instaurée à la COP20 de Lima qui, plutôt que de fixer des obligations à chaque pays, leur permet de définir leur propre trajectoire de baisse d’émissions de GES tout en définissant des objectifs communs. Que ce principal objectif soit, selon l’accord, un réchauffement climatique mondial bien en-dessous de 2°C et si possible de 1,5°C par rapport au début de l’ère industrielle, est un résultat très important: cet objectif signifie la marginalisation des énergies fossiles à moyen terme. S’il est atteint, il se traduira par des millions de morts et de déplacés environnementaux en moins sur un continent, l’Afrique, pour qui un réchauffement mondial de 2°C signifierait une hausse de température de 3°C.

Pourtant, tout reste à faire. Rien dans le texte ne contraint les Etats à réduire leurs émissions à court terme ni à concrétiser leur engagement à moyen terme sur la base de 1,5°C. La conférence de bilan, prévue en 2023, est trop tardive. Contrairement aux Etats insulaires, l’Afrique n’est pas spécifiquement mentionnée dans le coeur de l’accord, alors qu’elle compte six des dix pays les plus vulnérables au changement climatique. Sur les 100 milliards de dollars annuels dédiés à partir de 2020 à l’atténuation et à l’adaptation des pays en développement, aucune mention ne garantit des moyens conséquents pour la protection des écosystèmes et des populations. L’abondement de ces 100 milliards reste lui-même très flou, de même que leurs modalités d’allocation en vue d’assurer leur bonne gestion. Si les pays industrialisés sont appelés à faire les plus gros efforts financiers, leurs contributions nationales suffiront-elles ? Les négociations se poursuivront dès l’année prochaine à Marrakech: ainsi que nous le préconisons dans la note COP21: réparer l’injustice climatique en Afrique, (Fondation de l’Ecologie Politique, novembre 2015), il sera sans doute temps de recourir à des taxes mondiales pour le climat.


Benjamin Bibas est journaliste et documentariste. Animateur de la fabrique documentaire, il a été responsable du groupe Afrique de la commission Transnationale de d’EELV de 2010 à 2015. 

Le collectif Wangari Maathai regroupe une dizaine de militants actifs de l’écologie associative et politique, basés en Europe et en Afrique.


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