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Calculer le coût de l’inaction écologique – Par Lucile Schmid

- 15 janvier 2017

Contribution au dossier ‘Rénover la gauche’ du journal Le Monde

Lucile Schmid est Présidente de la Fondation de l’Écologie Politique et co-présidente de la Green European Foundation. Son ouvrage le plus récent s’intitule ‘La France résiste-t-elle à l’écologie?’ (Le Bord de L’eau, 2016).

Cette tribune est extraite du supplément ‘Rénover la gauche’ du journal Le Monde daté du Samedi 14 janvier 2017.

A retrouver sur le site du Monde http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/01/12/renover-la-gauche-calculer-le-cout-de-l-inaction-ecologique_5061741_3232.html

CALCULER LE COÛT DE L’INACTION ÉCOLOGIQUE

En 2006, le Britannique Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, publiait un compte rendu de plus de 700 pages sur les conséquences économiques à long terme du changement climatique. Financé par le gouvernement du Royaume-Uni, le rapport Stern (« Stern Review on the Economics of Climate Change »), qui contribua grandement à la prise de conscience de la question environnementale dans le monde des affaires, soulignait qu’une action internationale immédiate pour stabiliser les émissions de gaz à effet de serre aurait des retombées économiques bien supérieures au coût des mesures prises en ce sens.

Sur ce modèle, une gauche de gouvernement devrait demander un rapport d’évaluation des coûts de l’inaction écologique en France, élaboré dans les premiers six mois du quinquennat. Celui-ci donnerait ensuite lieu à un débat parlementaire solennel et serait suivi d’une loi de programmation portant au moins sur le quinquennat, voire sur dix ans.

Réagir au changement climatique annoncé, cela suppose la mise en œuvre de politiques de prévention et une capacité d’anticipation (en termes de stratégie économique, sociale et territoriale) face aux évolutions en cours et aux mécanismes d’adaptation qu’elles impliquent – faute de quoi règne l’inaction écologique. Les secteurs concernés sont vastes : énergie, agriculture, alimentation, urbanisme et logement, aménagement du territoire et des transports, emploi, santé, recherche, éducation, stratégies budgétaires et d’investissement.

Faire l’inventaire des coûts de l’inaction dans l’ensemble de ces domaines est donc une tâche de grande ampleur, qui n’ira pas sans une solide réflexion méthodologique. Aujourd’hui, on a déjà un aperçu de ces coûts dans le domaine de la santé (sur la pollution de l’air, avec le rapport de la commission d’enquête du Sénat de 2015, sur l’effet des pesticides et la montée de certaines pathologies).

L’expertise de la Cour des comptes

On peut aussi citer l’augmentation du nombre d’indemnisations dues aux effets du changement climatique dans certains territoires (inondations, sécheresses), comme l’a analysé un Livre blanc des assureurs publié avant la Conférence de Paris de 2015 sur le climat (COP21). Troisième exemple : l’entêtement à préserver le nucléaire représente un coût d’investissement exorbitant pour les finances publiques et les contribuables, et crée un effet d’éviction sur l’investissement dans les filières du renouvelable.

Ce rapport Stern à la française pourrait être mené par la Cour des comptes. Dans la ligne du rapport qu’elle avait publié sur le nucléaire en 2012, le fait de mobiliser cette expertise publique de haut niveau permettrait d’engager, sur des bases non polémiques, le débat à l’échelle nationale.

C’est d’autant plus nécessaire que c’est précisément à ce niveau que subsistent les plus fortes résistances aux politiques écologiques, alors que métropoles et collectivités locales, tout comme certaines entreprises du secteur privé, s’y sont déjà engagées. Or la définition d’une stratégie nationale de transition écologique est indispensable. Ne serait-ce que pour assurer l’égalité et la redistribution entre les territoires sur ce plan – car les zones côtières et de montagne, les régions rurales enclavées ne sont pas face aux mêmes enjeux que l’Ile-de-France.

Ce qui a marqué le quinquennat qui s’achève en matière d’environnement, c’est la difficulté à dépasser un discours de valeurs et de grands principes, voire le décalage entre proclamation et action. Cet inventaire – qui n’a pas, à ma connaissance, d’équivalent à l’échelle d’un pays – constituerait une entrée en matière concrète, une feuille de route pour les stratégies de transition et d’adaptation nécessaires à la lutte contre le dérèglement climatique et pour la préservation de la biodiversité.

Grâce à lui, il serait possible d’aborder la question secteur par secteur, tout en travaillant à leur mise en cohérence. Définir des stratégies d’investissement dans le domaine de l’énergie amène par exemple à réfléchir à de nouvelles qualifications dans l’emploi, ou encore à des politiques de transport en commun et d’aménagement du territoire différentes.

Enfin, un tel inventaire permettrait d’inverser la charge de la preuve sur la question des financements de la transition écologique. Le fait que celle-ci coûte cher, trop cher au vu de l’état des finances publiques, est aujourd’hui régulièrement invoqué pour retarder sa mise en œuvre, voire revenir enarrière. Pour la première fois, ce rapport sur les coûts de l’inaction écologique offrirait une perspective globale, ainsi qu’une analyse comparative rigoureuse pour porter les priorités de l’action publique en connaissance de cause.

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