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L’écologie relationnelle pour raccommoder les déchirures du monde

L’écologie relationnelle pour raccommoder les déchirures du monde

- 1 avril 2020

L’essai Toutes les couleurs de la terre. Ces liens qui peuvent sauver le monde écrit par Damien Deville et Pierre Spielewoy est paru aux éditions Tana en janvier 2020. Les deux auteurs y proposent une « écologie relationnelle » dont ils posent, les fondements théoriques et politiques.

L’essai Toutes les couleurs de la terre. Ces liens qui peuvent sauver le monde écrit par Damien Deville et Pierre Spielewoy est paru aux éditions Tana en janvier 2020. Les deux auteurs y proposent une « écologie relationnelle » dont ils posent, les fondements théoriques et politiques.

Puisant dans leurs expériences et leurs cheminements personnels, les deux auteurs (Damien Deville est géo-anthropologue et Pierre Spielewoy, juriste en droit international et doctorant en anthropologie du droit) développent les réflexions qui les ont amenés à penser cette « écologie relationnelle » comme solution aux défis de notre monde. D’une forme non-académique, pour laisser place à l’émotion chère à la relation qu’ils prônent, l’essai convoque néanmoins de nombreuses références et prend en compte les travaux les plus récents (sont par exemple cités, les ouvrages de Corine Pelluchon, Malcolm Ferdinand et Baptiste Morizot).

Dans une première partie, les co-auteurs font le constat de l’uniformisation des paysages et du monde. D’un côté, les campagnes sont laissées à l’abandon et leurs particularités gommées sous la pression du modèle agricole dominant et d’un autre côté, la concurrence des métropoles aboutit à la généralisation d’un même modèle d’aménagement urbain. Cette uniformisation se traduit également dans la culture : les territoires dits « périphériques » n’ont pas voix au chapitre et la campagne n’est vue qu’à travers l’œil des urbains. Tout ce processus accéléré par l’extension du libéralisme économique porte atteinte à la diversité du monde (dont la biodiversité) ; il laisse aussi dans le désarroi des franges entières de la population, soit parce que leurs modes de vie sont remis en cause, soit parce qu’elles ne peuvent trouver leur place dans une économie où la compétition est exacerbée. De plus, l’ouvrage montre également que notre vision traditionnelle du monde en Occident (qui repose sur la distinction nette entre nature et culture) pèse dans les projets écologiques ou associatifs et conduit à des échecs, faute d’avoir pris en compte les spécificités d’un territoire donné et de ses habitants.

Dans la seconde partie du livre sont tracées des pistes pour élargir notre regard et construire cette écologie relationnelle. À l’aide d’exemples puisés à la fois dans leurs voyages et rencontres mais aussi chez des anthropologues, les deux auteurs prouvent qu’il existe d’autres manières de considérer le monde et en particulier les liens entre l’humain et les différentes composantes du vivant (et aussi avec les minéraux) et que ces liens sont autant de ressources pour inventer des manières durables d’habiter le monde. Face à l’indépendance devenue une vertu cardinale, les auteurs revendiquent la vulnérabilité des êtres qui nous rend chacun dépendant de nos échanges avec d’autres. Ils prônent un monde axé sur les relations, mais des relations qui doivent prendre en compte l’autre dans son intégrité, avec son passé et sa culture : ce sont de ces relations équilibrées que pourront naître de nouvelles trajectoires d’émancipation, par exemple, dans les échanges Nord-Sud. Ainsi, les peuples autochtones ou anciens colonisés pourront également retrouver de la légitimité.

En somme, les auteurs proposent de remettre la relation au premier plan de l’action et de la pensée et de donner une place prioritaire à la relation avec la nature. L’ouvrage ne donne pas de méthode prête à l’emploi mais propose comme prérequis de changer notre regard. Il offre quelques exemples de cohabitations ou de résistances porteuses d’espoir, par exemple chez les Peuls du Sahel. En fin de compte, les deux auteurs appellent à embrasser la diversité du monde, à tisser de nouveaux liens au quotidien ; ils nous rappellent aussi que promouvoir ces nouvelles relations commence par trouver une meilleure relation avec notre corps et avec nos émotions. La dimension émotionnelle est en effet souvent laissée de côté dans les ouvrages politiques, à contre-pied, les auteurs ont délibérément fait toute la place aux sentiments et à la poésie dans leur essai pour… une meilleure relation avec le lecteur !

Meixin Tambay, FEP

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