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Lecture: « Faut-il donner un prix à la nature? » de J.Gadrey et A.Lalucq, par Silvia Marcon

- 31 juillet 2015

Faut-il donner un prix à la nature ?, de Jean Gadrey & Aurore Lalucq, Institut Veblen-Les Petits Matins, 2015, 128p. 10€.

Faut-il donner un prix à la nature ?, de Jean Gadrey & Aurore Lalucq, Institut Veblen-Les Petits Matins, 2015, 128p. 10€.

Faut-il donner un prix à la nature? Cette question revient sans cesse depuis plusieurs années, tant dans le cadre des négociations internationales qui concernent la biodiversité, que dans les cercles des nombreuses organisations, gouvernementales et non gouvernementales, qui tentent de la protéger.

En effet, dans un monde dominé par le langage économique et soumis au protocole d’évaluation coûts/avantages, la monétarisation de la nature et des services éco-systémiques, a d’abord semblé, à plus d’un parmi ses défenseurs, une solution efficace. Soit pour rendre visibles et tangibles les bénéfices qu’elle octroie «gratuitement», ou comme outil de communication voir de négociation, «révolutionnaire», en mesure de révéler la valeur du vivant à ceux qui ne savent pas raisonner en dehors de la feuille de calcul et les convertir ainsi à des modes d’action écologiques.

Dans la première partie du texte, les auteurs parcourent les origines de la monétarisation en interrogeant le contexte théorique et idéologique dans lesquels cette approche a pris racine et a su s’imposer en tant que solution en mesure de compléter, ou renforcer, les systèmes de régulation publique, souvent en défaillance. Ils analysent ensuite les critiques que la monétarisation a suscité, tant au sein des économistes que des écologistes, notamment sur le caractère utilitariste et anthropocentré du cadre économique standard auquel elle condamne la protection de la nature.

Dans la deuxième et troisième partie de l’ouvrage, avec un grand effort de pédagogie et de clarté, il est expliqué comment la monétarisation fonctionne, qui en sont les acteurs et de quels outils ils disposent actuellement. La principale force de l’ouvrage est sans aucun doute cette partie analytique, s’appuyant sur huit études de cas. Rapides et accessibles, du rapport Stern à la taxe carbone suédoise en passant par la méthode Care, les huit exemples permettent de faire le tri entre « fantasmes » et « réalités » des démarches existantes, pour en aborder sans idéologie les éventuels avantages et résultats.

Ces cas permettent d’approcher la dernière partie de l’ouvrage avec les idées suffisamment claires pour se faire une opinion indépendante sur intérêt et limites des démarches présentées. En effet, elle élargie la réflexion à d’autres solutions de protection de la nature, intégrant à différents degrés (y compris le degré 0) la monétarisation dans leur dispositif.

Une fois achevée la lecture, ceux qui avaient pu croire en cet outil « révolutionnaire » pourront en saisir toutes les limites, tant méthodologiques qu’éthiques, exemples d’inefficacité à l’appui. Mais surtout, ils seront prêts à abandonner définitivement l’idée (certes baroque..) que l’évaluation monétaire pourrait constituer l’outil dominant d’une politique de protection de la nature.

Ceux qui n’ont jamais cru en les vertus de cet outil, disposeront de nouvelles preuves, très solides, pour renfoncer leurs convictions. Mais également d’une douzaine de suggestions sur les conditions qui doivent être réunies pour utiliser efficacement les outils monétaires et les différentes mesures qui peuvent être suggérées dans le cadre d’une politique publique…. tout en restant cohérents par rapport à leurs convictions !

Au fil de pages, les auteurs parviennent à renouveler la question de départ – faut-il donner un prix à la nature ? – en la confrontant aux enjeux démocratiques majeurs, et leurs défaillances, que très souvent les sujets écologiques mettent en exergue.

Sommes-nous prêts à accepter que les questions relatives au vivant soient réglées sans qu’un débat pluraliste ait préalablement lieu (c’est le cas dans le cadre des négociations internationales..)?

Peut-on lire la réalité qui nous entoure, et par conséquence organiser le gouvernement des hommes, des choses et du vivant, exclusivement et toujours par la «lorgnette» de l’économie?

Comment intégrer systématiquement le souci de justice sociale dans la conception des mesures de protection de l’environnement sans en réduire l’ambition en termes de soutenabilité?

Il est sans aucun doute nécessaire de solliciter davantage d’études sur les impacts des outils monétaires d’ores et déjà employés. D’ici là et en l’absence de preuves irréfutables de l’efficacité des instruments du marché, il me semble indispensable de s’assurer le maintient et l’émergence d’autres dispositifs de protection du vivant, à l’écart des solutions monétaires et de marché, pour trois principales raisons. 1. Parce qu’ils sont efficaces. 2. En tant que « garde-fous » indispensables pour éviter les dérives que les solutions issues du marché risquent d’engendrer (« marchandisation » et « financiarisation » de la nature notamment). 3. Parce qu’il est essentiel de défendre l’idée que l’on puisse préserver une nature par choix, par principe, un principe politique, qui ne nécessiterait alors pas de solutions technique.

Une lecture incontournable sur une question centrale pour le mouvement écologiste d’aujourd’hui ; structurante pour l’écologie de demain, contrainte d’anticiper ses difficiles relations avec les acteurs économiques.

Silvia MARCON, Directrice de la Fondation de l’Ecologie Politique.

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