Aux origines de l'écologie politique en Europe

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Aux origines de l'écologie politique en Europe

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Petra Kelly, une des cofondatrices du parti écologiste allemand, Die Grünen, lors d'une assemblée le 19 novembre 1983.
Petra Kelly, une des cofondatrices du parti écologiste allemand, Die Grünen, lors d'une assemblée le 19 novembre 1983.
© Getty - Ullstein bild

Une "vague verte" a marqué les européennes, notamment en Allemagne et en France. L'écologie fut un thème majeur de campagne et ces questions ont intégré le programme des partis un peu partout en Europe. Retour sur l'histoire de l'écologie politique, née sur le Vieux continent dans les années 70.

Une "vague verte". L'expression est revenue dans plusieurs pays au soir des résultats des européennes de 2019, en particulier en Allemagne et en France. L'écologie qui était présente dans la plupart des programmes de campagne. Face aux enjeux climatiques, il est quasiment impossible pour les partis, écologistes ou non, de faire l'impasse sur les questions environnementales. À tel point qu'en France, le parti majoritaire, La République en Marche (LREM), a décidé d'en faire une priorité : "Faire de l'Europe une puissance verte" peut-on lire en tête du programme de la liste LREM, menée par Nathalie Loiseau. C'est le cas dans d'autres pays d'Europe : d'autres partis que les Verts s'emparent des questions environnementales. Comment est née l'écologie politique en Europe ? Comment s'est-elle développée ? Retour sur une histoire différenciée.

L'écologie politique en Allemagne : un exemple précoce

L'écologie devient politique dans les années 70, au moment du début de la crise environnementale. C'est à partir de ces années-là que les questions environnementales commencent à être prises au sérieux par les dirigeants politiques dans le monde entier. En 1972, une conférence des Nations Unies sur l'environnement est par exemple organisée à Stockholm, en Suède.

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En Europe, l'écologie politique naît aussi dans les années 1970. Les versions divergent quant au pays européen qui a vu naître le premier parti écologiste. Pour Benoît Monange, directeur de la Fondation de l’Écologie politique, "PEOPLE" est le premier parti écologiste en Europe. "Il a été créé au Royaume-Uni en 1972. Il émerge des mouvements sociaux britanniques. C'est un peu l'ancêtte du parti Vert anglais qui existe encore actuellement", explique-t-il. "People party" deviendra "Ecology party" en 1975. Mais ce parti peine à percer sur la scène politique, en raison du "système politique britannique" : "C'est difficile de se faire une place dans le champ politique anglais", selon Benoît Monange.

En France, le parti Vert n'est créé qu'en 1984. Dans les années 1970, le mouvement écologiste n'est pas institutionnalisé en France. Les écologistes français "avaient des organisations qu’ils nommaient « biodégradables », c’est-à-dire qu'ils se présentaient aux élections et après ils disparaissaient. C’est l’idée qu’il ne faut pas institutionnaliser, qu'il faut aller aux élections pour témoigner de quelque chose mais pas plus", selon Daniel Boy, directeur de recherches émérite au Cevipof et spécialiste de l’écologie politique. René Dumont est ainsi le premier candidat en 1974 à se présenter sous l'étiquette écologiste en France.

Conférence de presse du parti Vert allemand, Die Grünen, le 12 mai 1983 à Berlin-Ouest.
Conférence de presse du parti Vert allemand, Die Grünen, le 12 mai 1983 à Berlin-Ouest.
© Getty - Picture alliance

Le premier parti écologiste, qui s'institutionnalise et connaît des résultats électoraux significatifs, naît en fait en Allemagne. C'est l'exemple européen qui est le plus connu et reconnu. Les "Grünen" (Verts en allemand) se développent dès les années 1970 en Allemagne de l'Ouest et naissent officiellement en tant que parti en 1980. Les Verts allemands font leur entrée au Bundestag en 1983. Mais si l'exemple allemand est passé à la postérité, c'est parce que les Verts sont parvenus à une alliance avec les sociaux-démocrates du SPD en 1998, ce qui leur a permet de négocier la sortie du nucléaire dans le pays. "C’est le seul pays, à mon sens, où une alliance entre écologistes et socialistes a abouti à dire qu’il n'y aurait plus de construction de centrales nucléaires. Arriver à un enjeu pareil dans le mouvement, c'était assez crucial et cela ne s’est pas reproduit dans d’autres pays d’Europe", souligne Daniel Boy.

En 1980, les Grünen en Allemagne vont rapidement devenir un des partis écologistes les plus puissants sur la scène européenne.                                                            
Benoît Monange, directeur de la Fondation pour l'Écologie politique

"Il y avait des mouvements sociaux de contestation du nucléaire qui étaient très importants en Allemagne, des mouvements civils et militaires qui existaient et c’est en partie de là qu’a émergé la forme partidaire : cela leur a permis de se cristalliser plus rapidement sur la scène politique", explique Benoît Monange, directeur de la Fondation pour l'Écologie politique.

D'autres pays ont également obtenu des résultats significatifs lors des élections à cette période-là, comme la Belgique. "Il n’y a pas eu que Allemagne, mais l'Allemagne a un tel poids en Europe que cela a davantage été observé et cela a davantage servi d’exemple", justifie Daniel Boy, spécialiste de l'écologie politique.

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Modes de scrutin et division nord-sud

Le système politique du pays joue un rôle important dans l'émergence de l'écologie politique. Lorsque les élections reposent sur un scrutin proportionnel, il est beaucoup plus facile pour les Verts d'accéder au pouvoir par rapport à un scrutin majoritaire à un ou deux tours. L'écologie politique est donc également apparue dans les années 1970 en Suisse, au Luxembourg, en Suisse ou encore en Autriche. 

"Ce sont des pays dans lesquels il y a des démocraties de type 'consocialiste' : des démocraties avec un mode de scrutin proportionnel, où le consensus après l'élection est recherché. Ces systèmes politiques existent dans le Nord de l'Europe (Pays-Bas, Danemark). Il s'agit de systèmes de représentation proportionnel quasi intégral, tout le monde peut avoir accès au pouvoir à partir de quelques pourcentages de voix, donc une fois que tout le monde est dans le Parlement, il faut trouver des accords : il y a une recherche de consensus, de l’alliance. Dans d’autres systèmes, c’est mixte comme en Allemagne, ou bien c'est un système majoritaire à deux tours (France) ou à un tour (Angleterre). Cela a beaucoup desservi, compliqué la vie des partis écolos", détaille Daniel Boy, directeur de recherches émérite au Cevipof et spécialiste de l'écologie politique.

En dehors du mode de scrutin, des raisons économiques peuvent également expliquer l'apparition de l'écologie politique dans certains pays européens. En Espagne, en Grèce et en Italie par exemple, le développement de l'écologie est beaucoup plus faible que dans la plupart des pays du nord de l'Europe. "Pour caricaturer rapidement, les pays du nord de l’Europe sont plutôt des pays où l'aisance économique et sociale est plus forte. Ils sont arrivés à une croissance élevée, à un bien être élevé plus facilement ou plus tôt que des pays du sud de l’Europe où cela a mis plus longtemps à décoller. Les gens étaient plus tournés vers la demande de croissance économique, que vers la protection de l’environnement et cela reste un peu vrai encore maintenant", explique Daniel Boy.

Pour les gens, il y a toujours un antagonisme perçu entre le chômage et l’écologie politique : on s’occupera de l’écologie, quand on aura un taux de croissance et un taux de bien être social équivalent aux pays du nord.                                                    
Daniel Boy, directeur de recherches émérite au Cevipof et spécialiste de l'écologie politique

Cette division entre le nord et le sud s'est confirmée au moment de l'entrée des pays de l'est dans l'Europe, après la chute de l'URSS. "Le niveau de vie est beaucoup plus bas, l’écologie a eu beaucoup de mal à se développer dans tous ces pays à de rares exceptions près", affirme Daniel Boy. Le faible développement économique est une priorité et il faut du temps avant que "l’état de conscience vis-à-vis des dégâts de l’environnement parvienne à influer les comportements".

Aux Pays-Bas, les partis de gauche s'emparent de l'écologie

Le cas néerlandais détonne un peu plus au sein du panorama européen. Aux Pays-Bas, c'est la gauche qui s'est emparée des questions environnementales, contrairement aux autres pays où l'écologie politique est née à travers des partis Verts. "Les partis écolos ont eu du mal à se développer parce qu’ils ont été un peu contrés par des partis de gauche relativement extrême (un peu comme la France Insoumise en France) : ils ont capté les enjeux environnementaux", resitue Daniel Boy. Les socialistes néerlandais se sont très vite intéressés à l'écologie et n'ont pas "complètement ignoré l'écologie politique", comme leurs homologues français.

"Ce sont plutôt des partis de gauche qui ont fait une mue anti-productiviste et qui sont devenus écologistes. Ce qui a permis une institutionnalisation plus rapide, car les partis écologistes se sont construits sur des partis qui existaient déjà", complète Benoît Monange, directeur de la Fondation de l'Écologie politique.

Jesse Klaver, leader du parti écologiste néerlandais GroenLinks (la Gauche verte), à Amsterdam, en mars 2017.
Jesse Klaver, leader du parti écologiste néerlandais GroenLinks (la Gauche verte), à Amsterdam, en mars 2017.
© Maxppp - ROBIN VAN LONKHUIJSEN

Le parti vert aux Pays-Bas, GroenLinks (la Gauche verte), a fait de très bons scores aux élections municipales de mars 2018 par exemple. Il a remporté la mairie d'Amsterdam et d'Utrecht, quatrième ville du pays en termes de nombre d'habitants. "C’était à la base un parti de gauche, marxiste, qui a fait sa mue écologiste, qui a fait un tournant anti-productiviste et qui est devenu le parti écologiste aux Pays-Bas. Il y avait une structure partidaire forte qui existait déjà, cela évitait de construire de zéro une structure partisane", retrace Benoît Monange.

C'est également le cas au Danemark, selon Daniel Boy. "L'écologie politique est arrivée par d’autres canaux. Au lieu de se développer dans des partis strictement verts comme en France et en Allemagne, elle s’est développée dans des partis de gauche (à gauche du parti socialiste). Mais contrairement aux partis strictement marxistes, ils étaient assez ouverts à l’écologie politique", souligne Daniel Boy.

Ce sont des partis qui ont très précocement soutenu les revendications des écolos donc ils ont peu "coupé l’herbe sous le pied" des partis verts. Daniel Boy, directeur de recherches émérite au Cevipof et spécialiste de l'écologie politique

Les Verts au sein de l'UE

Une fois constitués au niveau national, les partis Verts ont commencé à se regrouper de façon institutionnalisée au sein de l'Union européenne (UE). Lors des premières élections européennes au suffrage universel en 1979, aucun élu écologiste ne fait son entrée au Parlement européen. Il faut attendre 1984 pour voir des députés écologistes siéger au Parlement : une dizaine de députés sont élus lors de ce scrutin-là, "des Allemands, des Belges et sans doute des Hollandais", selon Benoît Mange.

Solange Fernex, tête de liste en France "Europe Écologie" pour les élections européennes de 1979.
Solange Fernex, tête de liste en France "Europe Écologie" pour les élections européennes de 1979.
© Getty - Laurent Maous

Ce n'est qu'en 1989 que les écologistes peuvent constituer un groupe au sein du Parlement européen pour la première fois, grâce à l'élection de 25 eurodéputés. Une fédération des partis verts européens se met alors en place et progresse jusqu'à la création du parti vert européen ( Green european party) en 2004. Depuis le dernier scrutin de 2014, 52 eurodéputés forment le groupe des Verts au Parlement européen. Les membres ne sont pas seulement encartés dans des partis verts, il y a également "une élue Pirate, de quelques indépendants et des représentants des nations sans état et des minorités défavorisées", comme le précise le site du Parlement.  

À première vue, l'écologie politique a donc progressé au sein-même des institutions. Mais Daniel Boy, directeur de recherche émérite au Cevipof, tient à nuancer ces progrès. "En 2004, la moyenne des scores obtenus par les partis verts qui se présentaient aux élections européennes était de 6,7%. En 2009, de 7,1% et en 2014, de 7,9%", décrypte-t-il. "C'est une progression, mais cela n'est pas un tsunami. Alors que nous aurions pu imaginer que pour des partis qui sont là depuis pas mal d'années, cela aurait été un peu plus fulgurant", analyse Daniel Boy.

"Il y a des déserts au niveau de l'écologie politique : dans une bonne partie des pays de l'est, comme en Pologne par exemple, il n'y a pas de députés écologistes européens car le parti vert polonais est très faible au niveau électoral. Dans le sud de l'Europe, c'est la même chose", rappelle benoît Monange. Au sein du groupe Les Verts au Parlement européen, seuls 18 des 28 pays de l'UE sont représentés.

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