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EntretienPolitique

« Le système est en déliquescence avancée, il faut refaire la Constitution »

Samedi 18 mars, la France insoumise organise à Paris une « Marche pour la 6e république ». Une revendication portée par Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, convaincus de l’impasse dans laquelle se trouve la Ve République. Quels contours donner à cette nouvelle Constitution, pour la rendre vraiment démocratique ?

Bastien François est professeur de sciences politiques à la Sorbonne. Ses travaux portent pour l’essentiel sur les institutions. Il est également vice-président de la Fondation de l’écologie politique. Militant d’Europe-Écologie-Les Verts, il a rejoint la campagne de Benoît Hamon.

Bastien François.


Reporterre — Pourquoi faut-il une VIe république ?

Bastien François — Dès le début des années 1990, l’idée d’une VIe République a émergé autour d’une volonté d’institutions plus démocratiques. Donner plus de pouvoir au Parlement, moins au Président. Il s’agit d’un point de vue classique à gauche : dénoncer la concentration du pouvoir exécutif, pointer le manque de contre-pouvoir dans la Ve République.

Mais la motivation principale au changement, c’est que la Constitution actuelle est un obstacle pour réaliser la transition écologique. Nous devons réinventer de fond en comble nos sociétés contemporaines. Changer nos façons de consommer, de nous déplacer de produire, de travailler. Or, on ne peut pas réaliser cette transformation dans un système où tout part du haut, où tout est concentré dans ce petit centre qu’est l’Élysée. Le problème, c’est le mode de décision, trop vertical, trop hiérarchique. La démocratie de la Ve République n’est pas adaptée aux enjeux du XXIe siècle.

Il nous faut un changement radical, les réformes constitutionnelles ne suffisent plus. Nous avons connu 24 révisions de la Constitution depuis 1968. Je prends souvent l’image de l’ordinateur : au bout d’un moment, les mises à jour ne fonctionnent plus, et il faut changer le logiciel, la matrice du système. Pour ce faire, il faut remettre les compteurs à zéro, en revenant dans un processus constituant.

Il y a donc un enjeu très fort — au-delà du contenu d’une nouvelle constitution — dans l’organisation d’un processus constituant réellement participatif. J’ai participé à la rédaction d’un rapport pour la Fondation Nicolas Hulot, intitulé Pour un big bang démocratique. Nous avons défini cinq étapes : un référendum définissant une procédure constituante participative ; l’organisation d’une consultation ouverte de l’ensemble des citoyens ; la réunion d’un Forum national chargé de rédiger le mandat de l’Assemblée constituante ; la réunion d’une Assemblée constituante, chargée de la rédaction de la nouvelle Constitution ; et enfin un référendum constituant.


Qu’est-ce que devrait être pour vous la VIe République ?

Comme je viens de vous l’exposer, l’esprit de la VIe République, c’est justement qu’elle ne soit pas dictée, écrite, ni même inspirée par un sachant, mais par l’ensemble des citoyens. Ce que je vais donc vous dire n’engage que moi, et ne doit pas faire office de marche à suivre.

Premier chantier pour la prochaine Constitution, le problème de la responsabilité, ou plutôt de l’irresponsabilité du pouvoir exécutif. Dans la Constitution actuelle, une fois élu, le Président n’a de compte à rendre à personne. Le meilleur moyen de restaurer la responsabilité, c’est le régime parlementaire : un pouvoir exécutif entre les mains d’un Premier ministre, qui rend compte de son action devant le Parlement. Ça existe dans la majorité des autres pays de l’Union européenne, pas chez nous !

Nous avons aussi un problème de qualité de la représentation. Nos représentants ne nous ressemblent pas — d’un point de vue social, de sexe, d’âge —, mais, en plus, avec le mode de scrutin actuel, ils ne sont pas représentatifs des votes. En comptant l’abstention, les élections au scrutin majoritaire à deux tours donnent des majorités qui sont très largement minoritaires : les études montrent qu’une majorité parlementaire (PS, LR…) ne représente au mieux que 26 % du corps électoral !

La VIe République devra permettre une meilleure représentation du pluralisme, avec des solutions simples : le scrutin à la proportionnelle, ou le tirage au sort.

Le troisième chantier est celui de la participation citoyenne. Aujourd’hui, les gouvernants de tous les pays sont face à des populations informées, éduquées, qui acceptent de moins en moins d’être dessaisies de la décision. Le politique doit donc être plus poreux, et accepter une plus forte capacité d’intervention des citoyens.

Le palais de l’Élysée, le lieu de l’incarnation du pouvoir sous la Ve République.

Un des moyens serait de « déprofessionnaliser » la politique, par exemple en limitant les mandats dans le temps. Et instaurer une ouverture citoyenne, en permettant à tout citoyen de faire dans sa vie dix ans de mandat électif.

Le quatrième chantier doit permettre de démocratiser la décentralisation. Les maires restent comme des petits seigneurs dans leur commune. Les institutions locales reprennent la même organisation jacobine et hiérarchique que le pouvoir central. Nous pourrions créer un système qui prenne en compte la diversité des territoires et des situations, un système qui parte des enjeux locaux plutôt que des politiques nationales. Par exemple, la politique d’enseignement supérieur ne se gère pas de la même manière en Paca qu’en Île-de-France : elle pourrait relever de l’échelon régional dans le premier cas, et de l’échelon national dans le second. Il faut penser global, agir local.

Le dernier chantier, le plus stimulant intellectuellement, concerne les générations futures : comment inscrire le long terme dans les institutions. Nos institutions actuelles ont été construites avec un horizon très court, celui des élections. Or, nombre de décisions politiques ont des effets de très long terme, comme le nucléaire. Nous devons veiller à ce que nos choix, nos actions ne soient pas nocives pour les générations futures. On pourrait créer une troisième Chambre dédiée au long terme, composée à la fois de personnalités, de représentants d’ONG, et de gens tirés au sort. Ils ne feraient pas la loi, mais ils vérifieraient que les textes votés ne compromettent pas les intérêts de nos arrière-arrière-petits-enfants. Ce pourrait être également le rôle du Président : veiller à notre futur.


La plupart des Constitutions ont été adoptées dans des moments de crise : guerre d’Algérie (1958), fin de la Seconde Guerre mondiale (1944), défaite face à la Prusse (1870)… Sommes-nous dans une situation comparable ?

D’abord, il faut rappeler qu’on peut changer de régime sans guerre ni révolution. La Constitution européenne de 2005 en est un exemple, même si elle n’a finalement pas été adoptée.

Ensuite, d’un certain point de vue, oui, nous sommes en crise. Aucun Français ne vous dira droit dans les yeux : « C’est trop le kif, cette élection présidentielle ! » Le système est dans une situation de déliquescence avancée. Il suffit de regarder l’état de défiance dans lequel nous nous trouvons, or la paix sociale repose sur la confiance. Ce n’est pas (encore) l’explosion, plutôt une implosion lente.

Le palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale.


Le changement de République est porté par le mouvement de la France insoumise et par son candidat, Jean-Luc Mélenchon. Participerez-vous à la marche qu’ils organisent ce samedi 18 mars ?

Je suis partagé. D’un côté, je soutiens toutes celles et ceux qui veulent changer nos institutions. Mais je suis en désaccord assez profond avec l’esprit qui sous-tend le mouvement de la France insoumise : le « dégagisme » et le « soupçonnisme ». Révoquer tous les élus, faire table rase de tout ce qui a été fait. Je trouve cet état d’esprit assez violent. Pour moi, il faut plutôt se poser la question de comment rendre la démocratie désirable, inclusive. Ce discours du « tous pourris » ne me plaît pas, je n’irais donc pas marcher ce samedi. Mais en même temps, je soutiens et je salue la dynamique citoyenne.


Vous militez depuis longtemps pour l’avènement de la VIe République. Vous n’étiez pas très audible au départ, alors qu’aujourd’hui, deux candidats — Hamon et Mélenchon — portent cette idée. Il y a une avancée, non ?

En 2000, quand je présentais mes travaux, on me prenait pour un zozo. Je passais les trois quarts de mon temps à expliquer pourquoi la Ve République ne marchait pas. Aujourd’hui, c’est l’inverse, je passe les trois quarts de mon temps à présenter ce que pourrait être la VIe. Donc oui, intellectuellement, on gagne du terrain.

Il y a d’ailleurs eu un grand moment en 2007. Bayrou, Royal, Voynet : la plupart des candidats soutenaient l’idée d’un changement constitutionnel. Même Sarkozy, une fois au pouvoir, a lancé une grande série de réformes institutionnelles. Puis, il y a eu un reflux. En 2012, seul Mélenchon portait ce programme. Aujourd’hui, ça revient… un peu : Hamon a bien inscrit la VIe République dans son programme [Bastien François est son référent sur ces questions], mais il n’est suivi que par une petite partie du PS.

  • Propos recueillis par Lorène Lavocat
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