L’écologie serait-elle devenue un sujet audible pour une campagne de gauche ?

Surprise lors du débat des primaires à gauche, l'écologie n'est pas restée dans les coulisses. Benoît Hamon en a même fait une stratégie de campagne. Le résultat de dimanche pourrait obliger les autres candidats à verdir leur programme.

Par Weronika Zarachowicz

Publié le 28 janvier 2017 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h39

Cest l’une des surprises de la présidentielle 2017 : jamais on n’a autant parlé d’écologie. Du jamais vu depuis … 2007, quand Nicolas Hulot et son Pacte écologique (signé par 730 000 personnes) avaient obligé les candidats à s’exprimer sur le sujet. Dix ans plus tard, et après avoir été largement absente des discours de la précampagne présidentielle et de la primaire de la droite, l’écologie fait à nouveau irruption dans le débat, au-delà de la seule candidature de Yannick Jadot pour Europe Ecologie Les Verts (EELV). En décembre, le site web du candidat des Républicains, François Fillon, affichait ainsi trente-cinq propositions « vertes » (« Environnement et transition énergétique »), tandis qu’à gauche, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon, lors des primaires de gauche, ont fait de l’écologie un axe fort de leurs campagnes respectives, du développement des renouvelables, à la lutte contre les perturbateurs endocriniens ou la pollution de l’air aux particules fines... Alors, l’écologie serait-elle enfin devenue un sujet audible pour une campagne présidentielle ? Le Parti Socialiste, qui avait jusqu’ici choisi de faire sous-traiter la question par les Verts, est-il en train de faire sa conversion ? L’analyse de Lucile Schmid, présidente de la Fondation de l’Ecologie Politique, auteure du récent La France résiste-t-elle à l’écologie ? (éd Le bord de l’eau).

Depuis son entrée en campagne, Benoît Hamon a mis très fortement l’accent sur l’écologie. Le discours écologique devient enfin plus audible, au-delà d’EELV ?

Effectivement, trois axes ont permis à Benoît Hamon de se démarquer des autres candidats, et tous trois sont relatifs à l’environnement ! Il y a ses propositions sur le revenu universel d’existence, qui a une longue histoire chez les écologistes et fait partie de leur corpus philosophique, de leur réflexion sur la relation au travail. Il y aussi sa volonté affichée de « changer de paradigme » sur notre modèle de développement avec un positionnement « post-croissance », et bien entendu, son choix d’aborder les questions plus spécifiquement environnementales, que ce soit les perturbateurs endocriniens, le développement des renouvelables, la lutte contre la pollution de l’air aux particules fines. Ce qui est intéressant, et inédit pour un candidat socialiste, c’est que cette conversion écologique est imbriquée dans l’ensemble de son projet politique. Benoît Hamon en fait un pivot essentiel, et non pas un thème à part, sectoriel, ce qui explique que son discours puisse attirer des personnes qui n’auraient pas voté spontanément pour un candidat du PS.

C’est surprenant, venant d’un candidat du PS ?

C’est une vraie bonne surprise, d’autant que le renoncement de Nicolas Hulot qui portait depuis 2007 cette capacité à élargir la thématique écologique dans l’espace public était plutôt une mauvaise nouvelle. Pour la première fois, nous assistons à une vraie diffusion de cette question. C’est très net si l’on compare à ce qui s’est passé lors de la campagne de 2012, où seuls deux candidats avaient empoigné l’écologie : Eva Joly, pour EELV, et Jean-Luc Mélenchon, pour le Front de gauche, qui avait porté une approche alliant questions écologiques et sociales.

Cette diffusion touche principalement la gauche, avec de nombreuses prises de parole sur le sujet de la part d’une grande partie des candidats, de Jean-Luc Mélenchon à Benoît Hamon ou François de Rugy. Lors des primaires de droite en revanche, il n’a quasiment pas été question d’écologie...

Aucun des deux candidats que l’on aurait pu attendre sur le sujet, Nathalie Kosciusko-Morizet et Alain Juppé, n’en a parlé. Sans doute parce que le mandat qui s’achève a été marqué par une grande conflictualité des questions écologiques dans le champ politique – que ce soit Notre-Dame-des-Landes, Sivens, le nucléaire… Elles ont donc été perçues comme des questions risquées et non pas des sujets porteurs.

A l’échelon local, au niveau des villes, ces thèmes sont entrés dans les mœurs et les discours, mais cela reste plus compliqué lors d’un affrontement national. Alain Juppé pratique l’écologie dans sa ville de Bordeaux mais il n’a visiblement pas réussi à trouver les mots pour en parler dans une primaire. 

A la différence de Benoît Hamon, à gauche, qui a lui, osé le faire.

Pourquoi cela a-t-il été possible à gauche alors ?

Parce que Benoît Hamon a pris la décision stratégique de choisir l’écologie pour l’emporter face à ses concurrents. Comment fait-on pour gagner une primaire, pour se différencier ? Le processus des primaires joue lui-même un rôle dans l’émergence de l’écologie, dans la mesure où il oblige les candidats à revoir leur relation aux valeurs parfaitement classiques portées jusque là par leur parti. Par ailleurs, n’oublions pas le contexte de très grave crise du PS : les candidats socialistes n’ont pas d’autre choix que de (se) réinventer, ce qui a sans doute donné une chance à l’écologie….

Jusqu’ici, le PS avait choisi de sous-traiter la question aux Verts. Le PS est-il en train de faire sa conversion écologique ?

Il y a une telle incertitude sur ce qui va se passer… Le paysage politique français va-t-il rester dans la même configuration, avec les mêmes partis ? La question écologique est mise en avant au moment même où le paysage politique est en pleine reconfiguration, avec de nouveaux entrants, pour ne citer qu’Emmanuel Macron et sa candidature en dehors du PS ! Et puis, quand Manuel Valls et Benoît Hamon s’engagent à se soutenir mutuellement en ayant des programmes aussi différents sur la place de l’écologie, qu’est ce que cela signifie ?

J’observe en tout cas que le débat reste très fort au sein du PS. Grâce aux primaires, il est posé devant le plus grand nombre, devant chaque téléspectateur, et c’est passionnant. L’écologie oblige à reposer le contenu du projet sur le devant de la scène. Alors que depuis des années, on avait l’impression d’assister à des effets tactiques, des effets de manche, on se retrouve face à de vrais choix de contenu. Dans ce débat de la primaire, il y a eu plus de pensée que d’habitude, ce qui est une bonne nouvelle pour la santé de notre démocratie....

Et avec un niveau de technicité très inédit, sur les perturbateurs endocriniens par exemple… C’est aussi une bonne nouvelle ?

Qu’attend-on aujourd’hui de ceux qui nous représentent ? On voit bien que la fonction présidentielle se recompose, et que dans ce cadre, la question de la compétence est en train de reprendre de l’importance. D’autant plus que l’écologie a progressivement réintroduit les savoirs dans l’exercice du pouvoir. Les lois écologiques discutées depuis 2012 (transition énergétique, biodiversité…) comportent des dispositions qui visent à une transformation profonde et concrète de notre système économique et social. Leur compréhension implique un véritable décryptage juridique, économique et technique, d’associer le savoir du scientifique, du chercheur, de l’ingénieur à celui de l’avocat, de l’entrepreneur, de l’agriculteur, du promoteur immobilier etc.

Un candidat aujourd’hui doit donc être un expert ?

Effectivement, tout cela implique que, pour porter la transformation et y faire adhérer les Français, il est important d’être compétent et expert. C’est particulièrement clair en matière de santé et d’environnement, face à cette dégradation de nos conditions de vie quotidiennes (particules fines, perturbateurs endocriniens…). On découvre aujourd’hui que des décisions prises par des politiques et des entreprises ont des conséquences néfastes sur notre santé. Que l’inaction écologique a un coût social, économique. Quand on instaure la gratuité des transports en commun les jours de « pic » de pollution, ça coûte de l’argent au Stif, l’autorité organisatrice des transports d'Ile-de-France...

Bref, pour porter ces projets, les candidats doivent donc entrer dans un certain niveau de détails, montrer qu’ils connaissent la vie quotidienne. Nous ne sommes plus sur l’idée de l’homme providentiel… D’où un nouveau ton, notamment mis en avant par Benoît Hamon lors de cette primaire : un ton plus démocratique et plus compétent. On est moins de surplomb, on s’adresse aux gens, on est prêt à interpellé, voire contesté, donc on est moins protégé.Tout en démontrant sa compétence, et sa vision. 

Quelles sont les conséquences de cette diffusion des propositions écologiques pour les Verts ?

Dans les sondages, la candidature de Benoît Hamon est créditée d’un score plus élevé que celle de Yannick Jadot, qui porte les couleurs des Verts. Même si c’est une excellente nouvelle que plusieurs candidats fassent le pari, en 2017, d’un discours sur l’écologie, il est important que la candidature d’Europe Ecologie les Verts puisse, elle aussi, continuer à être portée. Car nous ne pouvons pas être seulement sur l’écologie de la promesse. Il est crucial d’être sur l’écologie de la réalité, sur ce qui a déjà été réalisé et qu’un candidat comme Yannick Jadot incarne parfaitement. Et ce d’autant plus que l’écologie prônée par Benoît Hamon ou Jean Luc Mélenchon reste encore beaucoup un discours de valeurs et de promesses…

Reste une autre question : si Benoît Hamon l’emporte dimanche, obligera-t-il tous ceux qui ne se sont pas encore vraiment exprimés sur les questions écologiques, comme Emmanuel Macron ou François Fillon, à enrichir leurs propositions ? Cela dit, d’ores et déjà, cette diffusion de l’écologie a marqué des points face aux discours sécuritaires, du populisme, de la peur… Il y a une espèce de force vive dans l’écologie qui fait du bien.

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