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TribuneMonde

La COP 21 doit réparer l’injustice climatique faite à l’Afrique

Le continent africain compte six des dix pays les plus vulnérables au changement climatique et pâtit déjà de ses conséquences. La COP 21 doit donner les moyens de remédier à cette situation d’autant plus injuste que l’Afrique n’émet que 4 % des gaz à effet de serre.

Benjamin Bibas est journaliste et documentariste. Il a produit une dizaine de documentaires radiophoniques sur l’exploitation des ressources naturelles en Afrique, les formes de résistance qu’elle suscite et les violations graves des droits humains qu’elle engendre. Avec le collectif Wangari Maathai, il a signé une note publiée par la Fondation de l’écologie politique qui adresse des recommandations aux négociateurs de la COP 21 et aux gestionnaires du Fonds vert pour le climat.


Du 30 novembre au 11 décembre 2015, les représentants de la communauté internationale se réunissent à Paris pour tenter de limiter le réchauffement climatique mondial à 2 °C par rapport au début de l’ère industrielle. Plus qu’ailleurs, la COP 21 est attendue en Afrique.

En effet, le continent compte six des dix pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique [1]. Et si le réchauffement global est limité à 2 °C, c’est de 3 °C que la température augmentera en Afrique, selon le Giec, avec un stress hydrique générant « des effets négatifs considérables sur la sécurité alimentaire ». À vrai dire, le réchauffement de l’Afrique a déjà commencé : sécheresses et inondations chroniques expliquent déjà bon nombre de migrations internes et vers l’Europe [2].

Alimenter le Fonds vert

Cette situation est injuste. D’abord parce que l’Afrique représente à peine 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et n’a aucune responsabilité historique dans le changement climatique. Ensuite parce que le continent le plus pauvre de la planète n’a pas les moyens de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour protéger sa population - pour « s’adapter » au changement climatique, dit-on dans le langage technique des négociations. Enfin parce que les pays africains ne disposent pas d’États et d’organisations régionales assez efficaces pour, d’une part, peser dans les négociations climatiques et d’autre part, protéger leurs ressources naturelles – et notamment les ressources fossiles – contre l’exploitation effrénée par des acteurs asiatiques ou occidentaux. Or cette exploitation renforce le réchauffement climatique, en même temps qu’elle diminue les capacités d’adaptation du continent.

Il est donc crucial que la COP 21 marque un tournant pour l’Afrique. Mais comment ?

Inondation à Niamey, la capitale du Niger, en janvier 2013.

À la demande de la Fondation de l’écologie politique, nous avons posé la question à six écologistes africains [3]. Leurs réponses sont diverses. Pour l’ancien ministre sénégalais de l’Environnement Haïdar El Ali, il n’y a pas grand-chose à attendre de la COP 21 : l’économie et la diplomatie sont trop centrées sur les enjeux financiers et ce sera le cas jusqu’à ce qu’une grande catastrophe naturelle vienne remettre les écosystèmes au centre des échanges humains. La journaliste kényane Mildred Barasa fonde au contraire beaucoup d’espoirs sur le Fonds vert pour le climat (« Fonds vert ») créé à Copenhague en 2009 : si la COP 21 en décide ainsi - et c’est l’un de ses principaux enjeux -, ce fonds réunira 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, pour financer l’adaptation au changement climatique des pays les plus vulnérables et leur permettre d’enclencher un développement économique non carboné. Entre ces deux points de vue, le militant environnementaliste gabonais Marc Ona Essangui pointe la nécessité de réformes financières et juridiques, aux plans national et international, pour que les écosystèmes africains puissent être protégés.

Nous avons déduit de ces réponses une dizaine de recommandations aux négociateurs de la COP 21 et aux gestionnaires du Fonds vert, tournées vers une exploitation durable des ressources naturelles africaines, au bénéfice des Africains. Quelques unes d’entre elles, destinées par exemple à alimenter le Fonds vert :
-  rendre l’accord issu de la COP 21 contraignant, les contrevenants voyant leur contribution au Fonds vert drastiquement augmentée ;
-  instaurer des taxes mondiales, échappant aux paradis fiscaux, sur les transactions financières ou les activités polluantes comme le transport aérien ou le fret maritime ;
-  dans les pays qui n’ont pas atteint l’autosuffisance alimentaire, lutter contre l’accaparement des terres en taxant les investissements étrangers agricoles destinés à l’export.

Le Fonds vert serait ainsi financé par les principaux responsables du changement climatique : surtout sous forme de contributions nationales par les pays industrialisés, dont la responsabilité historique est écrasante ; et surtout sous forme de taxes par les entreprises des pays émergents, qui sont désormais parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre.

Renforcer les capacités coercitives

Ces mesures, développées dans le cadre des négociations onusiennes, seront-elles suffisantes pour réparer l’injustice climatique en Afrique ? On peut en douter.

Nos entretiens nous ont plutôt convaincus que la justice climatique passe par un renforcement des capacités coercitives des justices nationales et de la communauté internationale face à la pression financière sans limite sur l’exploitation des ressources naturelles. Pour envisager la COP 21 comme un tournant pour l’Afrique, il est essentiel que les industries extractives, dont les impacts sanitaires et environnementaux continuent à générer des dégradations inacceptables sur ce continent comme ailleurs, prennent leur part de responsabilité.

Pour cette raison, une deuxième partie des recommandations vise à intégrer aux négociations climatiques des mécanismes naissants comme l’Initiative pour la transparence des industries extractives (Itie) ou les législations sur le devoir de vigilance des sociétés investissant à l’étranger. Si elles deviennent contraignantes, la transparence financière et la vigilance légale seront des outils puissants pour briser l’alliance opaque qui existent entre nombre de multinationales et de régimes autoritaires en Afrique et réparer ainsi la dette écologique. Car il n’y aura pas de régulation du climat sans protection accrue des écosystèmes et des populations.

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