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Pêcheur dans la baie de Pucka, Pologne - Photo : Jacek Dylag
Pêcheur dans la baie de Pucka, Pologne - Photo : Jacek Dylag
Dans le même numéro

La Pologne sauvage

janv./févr. 2018

#Divers

Dans les domaines des forêts, de la chasse, des rivières et de l’énergie, le gouvernement de la Pologne organise le désastre et révèle les contradictions de l’Union européenne.

Face aux grands enjeux écologiques de notre temps, qui ont pour conséquences des conflits et des migrations massives, l’Union européenne (Ue) apparaît comme la principale, sinon la seule, puissance mondiale capable de pousser le monde vers une transition écologique et énergétique nécessaire. Cependant, la Pologne, le plus grand « nouveau membre » de l’Ue, freine et tire vers le bas les ambitions de la communauté européenne. L’avenir du monde dépendrait-il de l’essor de la conscience écologique des Polonais ?

Les aspirations européennes de la Pologne l’ont poussée à entreprendre d’importantes réformes du système de protection de l’environnement et de la nature et à adopter la convention d’Aarhus, pilier de la démocratie environnementale qui donne aux citoyens, au travers des organisations écologistes, le pouvoir d’accéder à l’information et le droit de participer aux processus décisionnels concernant l’environnement. Mais dans le pays où plus de la moitié de l’énergie produite a pour source le charbon et où, dans un contexte fortement néolibéral et tourné vers de puissants investisseurs étrangers, les syndicats du secteur minier ont encore leur mot à dire, la route des organisations écologistes luttant pour le droit de la population à l’environnement propre a été semée d’embûches. Avec le temps, plus l’esprit du commerce international pénétrait les nouvelles élites politiques et culturelles, moins l’écologie et l’environnement comptaient de défenseurs dans les médias et l’opinion.

Mis à part la protection d’animaux et, depuis peu, le problème du brouillard de pollution (smog), les sujets écologiques peinent à convaincre les Polonais. Les politiques européennes concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’efficacité énergétique et le développement d’énergies renouvelables trouvent toujours beaucoup de détracteurs. Les quelques centaines de militants et de chercheurs convaincus se retrouvent entre eux, lors de conférences et autres séminaires, désespérés de ne pas pouvoir trouver d’oreille attentive auprès des décideurs et des journalistes – à quelques exceptions près. Les jeunes apprennent au lycée que le changement climatique est « une controverse scientifique » et les médias accueillent chaque veto polonais face aux mesures européennes en faveur du climat comme un acte de patriotisme.

En 2013, Donald Tusk, encore Premier ministre, limoge le ministre de l’Environnement Marcin Korolec, à l’occasion du sommet sur le climat de Varsovie que le ministre préside. Deux ans plus tard, le nouveau gouvernement démocrate-chrétien, sous l’autorité du ministre de l’Environnement, Jan Szyszko, vieux compagnon de route de Jarosław Kaczyński, démantèle le système de protection de la nature et de l’environnement. Désormais, il ne s’agit plus seulement de soutenir l’activité économique : l’exploitation des ressources naturelles par l’homme relève de « la volonté divine ». Les écologistes sont présentés comme des ennemis publics sur la chaîne de télévision Tv Trwam, catholique, très populaire et proche du parti au pouvoir.

Désastres écologiques

Rappelons la série de désastres écologiques commis ou annoncés depuis l’arrivée du nouveau gouvernement. Plus de deux millions d’arbres ont été coupés en trois mois à travers le pays, à la suite de la libéralisation totale de l’abattage d’arbres sur les propriétés privées1. L’abattage massif d’arbres a également eu lieu dans la grande forêt de Białowieża, la dernière forêt primaire d’Europe, âgée de 12 000 ans et protégée en tant que site Natura 2000 et patrimoine de biosphère de l’Unesco. Białowieża attire les mycologues du monde entier et constitue l’habitat du bison sauvage et de toutes les espèces de pics européens. L’invasion d’insectes coléoptère s attaquant les épicéas a servi de prétexte aux coupes massives à l’aide d’énormes moissonneuses, qui ont été suivies par l’enlèvement et la vente des arbres abattus. Les arbres plus que centenaires ne sont pas épargnés. Depuis avril 2017, quelque soixante-dix gardes forestiers, trop mal formés à intervenir face aux actes de désobéissance civile, protègent les machines de blocus quasi quotidiens par des militants, par ailleurs intimidés par des arrestations. L’Unesco a demandé l’arrêt des coupes d’arbres, ainsi que la Cour de justice de l’Union européenne (Cjue), sans résultats tangibles : sous prétexte de « sécurité publique », les coupes continuent, même si les terribles moissonneuses ont été récemment remplacées par des équipes locales de bûcherons traditionnels, à la suite des menaces de pénalités financières par la Cjue.

Après une première décision de chasse de 40 000 sangliers dans un couloir de cinquante kilomètres le long de la frontière est de la Pologne, la libéralisation totale de la chasse au sanglier a été ordonnée, y compris dans les parcs nationaux et sans aucune restriction de période de protection. La peste porcine africaine lui sert de prétexte, pourtant remis en cause par l’ouverture d’une chaîne de magasins spécialisés dans la vente de gibier, sous la marque des Forêts nationales2.

L’extermination du sanglier et l’abattage massif d’épicéas ont été vivement critiqués par le Conseil national de la protection de la nature, un organe scientifique, consultatif et indépendant du pouvoir public. Le gouvernement lui a retiré les garanties juridiques de son indépendance et a remplacé trente-deux de ses trente-neuf membres par des chercheurs en foresterie et en agriculture, proches du ministre de l’Environnement. Enfin, le gouvernement de Beata Szydło a adopté un Plan-cadre sur le développement des voies navigables en Pologne pour la période 2016-2020. Il prévoit notamment la canalisation de deux fleuves polonais, l’Odra et la Vistule, et leur transformation en voies navigables de classe III et IV, « autoroutes » fluviales internationales E 30 et E 40. Cette dernière devrait rallier la ville ukrainienne d’Odessa au port maritime polonais de Gdańsk. Peu importe que la basse Vistule, qui doit faire l’objet de gigantesques travaux hydrotechniques, avec la construction d’une suite de dix barrages et réservoirs multifonctionnels, soit aujourd’hui un fleuve presque sauvage, avec vingt aires Natura 2000. Peu importe que le fleuve biélorusse de Prypec, qui doit subir le même sort, soit l’un des plus magnifiques cours d’eau sauvages de l’Europe, avec des réserves de biodiversité exceptionnelles. Pour l’Odra, jadis partiellement navigable, les travaux d’entretien ont été progressivement abandonnés à cause des coûts exorbitants et du remplacement du transport fluvial par les transports routier et ferroviaire, plus rapides. Cependant, la remise en navigation de l’Odra a été soutenue financièrement par la Banque mondiale et l’Ue, via un projet de « prévention d’inondations3 ».

Quelle transition énergétique ?

La Pologne ne veut pas abandonner le charbon et n’envisage pas de sortir des énergies fossiles. Même si l’industrie minière a été restructurée par un marché défavorable, il existe toujours des projets de nouvelles mines de lignite à ciel ouvert et de nouvelles centrales à charbon. La biomasse énergétique, partiellement brûlée dans les centrales à charbon, avec la géothermie et un peu d’hydraulique sur les nouvelles voies navigables doivent remplir les modestes objectifs polonais concernant les énergies renouvelables pour 2020 et 2030. Le développement, autrefois rapide, de l’éolien a été volontairement arrêté et le photovoltaïque n’est pas soutenu. Les coopératives et des collectivités énergétiques à l’allemande ne sont pas prévues par la loi. Les tarifs garantis pour de petites installations des énergies renouvelables, introduits grâce à une forte mobilisation citoyenne, ont disparu de la législation et un marché des réserves de puissance, qui pourrait entrer en vigueur au 1er janvier 2018, équivaut à un subventionnement déguisé du charbon. Le gaz de schiste n’ayant pas tenu ses promesses, la Pologne se bat pour devenir une plate-forme commerciale du gaz liquide en provenance des États-Unis et d’ailleurs.

L’Europe incohérente

Le cas polonais illustre les incohérences et les insuffisances des politiques européennes. Comment peut-on élaborer une carte des voies navigables internationales à travers de nombreux écosystèmes précieux et fragiles ? Les documents européens stratégiques, comme le Livre blanc des transports de 2011, les réseaux transeuropéens de transport et les programmes Naiades ne prennent en compte ni les caractéristiques des rivières, ni leur importance pour le maintien de la biodiversité, ni les coûts d’entretien, ni les risques d’inondation. Comment l’Union peut-elle soutenir et financer le développement du transport ferroviaire en Pologne, puis organiser sa concurrence par les voies navigables ? Soutenir la réintroduction du saumon dans la Vistule, pour ensuite le détruire avec la construction de dix barrages ? Soutenir la canalisation des rivières naturelles en Pologne tout en œuvrant à la restauration écologique d’autres rivières européennes ?

De Paris et Katowice

Le leadership climatique de l’Ue est également compromis. La présidence polonaise des négociations climatiques ne montre pas d’ambition, avant la très importante Cop24, qui se déroulera à Katowice, dans le bassin minier de la Silésie. Comme à Varsovie en 2013, un sommet du charbon se déroulera en parallèle. Selon le discours officiel, « le CO2 est bon pour les plantes » et les forêts nationales devraient absorber toutes les émissions du charbon, que les innovations industrielles devraient par ailleurs réduire… Les émissions routières seront traitées avec la pollution de l’air, via un programme d’un million de voitures électriques, ce qui maintiendra la demande d’électricité et de charbon tout en réduisant la dépendance énergétique de la Pologne à l’égard de la Russie. La Cop24 doit préciser le plan d’action qui mettra en œuvre l’accord de Paris : il est difficile de croire que les ambitions des parties seront agrandies sous la présidence d’un pays qui ne manifeste aucune volonté de sortir des énergies fossiles.

Note

  • 1.

    Le respect constitutionnel de la propriété privée légitime cette mesure. Pourtant, la même propriété privée n’est pas un obstacle quand il s’agit du droit de chasse : pour obtenir le droit d’interdiction de chasse sur sa propriété, il faut le réclamer devant la justice pour des raisons de conscience religieuse.

  • 2.

    La chasse au bison à visée commerciale défraie régulièrement la chronique, l’autorisation de chasse à l’élan a été évitée de justesse, et les loups, strictement protégés, ont du souci à se faire puisqu’on a autorisé la chasse au chacal, qui leur ressemble.

  • 3.

    Le fleuve doit redevenir navigable pour permettre aux brise-glace de passer, même si les dernières nappes de glaces solides sur l’Odra datent de soixante-dix ans et que d’autres techniques sont connues pour traiter les menaces de ce type.

Ewa Sufin-Jacquemart

Présidente de la fondation Strefa Zieleni, affiliée au parti vert polonais Partia Zieloni, coordinatrice du Congrès des femmes, elle contribue régulièrement au magazine Zielone Wiadomosci ("Nouvelles Vertes", zielonewiadomosci.pl). 

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