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Politique

Macron soupèse l’idée d’un référendum sur le climat

Vendredi 10 janvier, Emmanuel Macron a été auditionné par la Convention citoyenne pour le climat. Il s’est engagé à tenir compte des propositions qu’elle livrera, sous forme d’une loi ou d’un référendum. Il a défendu son approche sur l’écologie, sans convaincre, alors que les ONG dressent un bilan très négatif de son bilan climatique.

« Vous avez mon engagement. » Alors qu’il était auditionné pendant près de trois heures par la Convention citoyenne pour le climat vendredi 10 janvier au soir, le président de la République Emmanuel Macron a promis que les propositions émanant de cette assemblée feraient l’objet d’une loi, d’un règlement voire d’un référendum. Pour rappel, la convention, composée de 150 membres tirés au sort et représentatifs de la société française, travaille depuis octobre 2019 à l’élaboration de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030 (par rapport à 1990). Ils doivent rendre leurs conclusions en avril, environ deux semaines après les élections municipales.

« Plus vos propositions seront sans filtre, plus elles seront prises en compte sans filtre. Il faut expliquer comment on les met en œuvre et comment on les finance. Si ce sont juste des idées ou des convictions, elles devront être mises en musique par d’autres », a quand même précisé M. Macron. Si elles sont bien rédigées, en fonction de leur nature, les propositions feront l’objet d’un règlement, d’une proposition de loi qui sera discutée au Parlement, voire d’un référendum. « Le référendum est une décision à ma main » a rappelé M. Macron. Mais là encore, un référendum sur les propositions de la convention serait soumis à conditions : « Si les propositions sont de niveau constitutionnel, le gouvernement devra les soumettre à l’Assemblée nationale et au Sénat avant de les proposer en référendum. Si elles sont ordinaires ou organiques, deux possibilités : soit elles sont présentées sous forme d’une loi qui pourra être soumis à référendum et appliquée telle quelle en cas de vote favorable, soit c’est un ensemble de mesures auquel cas le référendum ne sera que consultatif et il faudra ensuite élaborer une proposition de loi. »

Dans tous les cas, le président de la République s’est engagé à revenir « personnellement » rendre des comptes aux membres de la convention sur le devenir des propositions. « Il faudra aussi définir les modalités de suivi dans la durée, a-t-il ajouté. La convention pourrait continuer à se réunir avec moins de régularité. On pourrait aussi tirer au sort des volontaires pour assurer le suivi. Je suis également tout à fait prêt à ce qu’une délégation tirée au sort puisse être associée aux rendez-vous nationaux et internationaux. »

M.Macron a affirmé que la Convention citoyenne pour le climat pourrait être une piste pour sortir de la crise démocratique actuelle. « La crise des Gilets jaunes a duré un an. Ils sont revenus sur une mesure qu’ils considéraient comme mauvaise car injuste et ne permettant pas de concilier leurs deux grands problèmes – fin du monde et fin du mois. ‘‘Je ne veux plus subir des décisions prises d’en haut, simplistes et qui ne prennent pas en compte ma situation’’, ont-ils dit. Je ne crois pas à la démocratie du référendum permanent. Par contre, dans notre démocratie, on n’inclut pas suffisamment les citoyens dans la construction des politiques. J’ai vu la préoccupation face aux lobbies, au manque de transparence », a-t-il assuré. Cette assemblée citoyenne pourrait aussi, selon lui, « faire sortir la colère de la rue ». « Sinon, nous entrons dans une démocratie de la violence et de l’indécision permanente. On ne peut pas dire, en démocratie, qu’on règle les problèmes simplement par la manifestation et la violence et qu’on n’accepte pas la politique des représentants élus », a-t-il affirmé. Jeudi 9 janvier, au 36e jour de la mobilisation contre le projet de réforme des retraites et malgré une féroce répression policière, 452.000 personnes ont encore battu le pavé dans plus de 80 villes, dont 56.000 à Paris, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.

Huit membres de la convention tirés au sort ont interrogé le Président sur son bilan. « Ne pensez-vous pas qu’il faut éviter la ratification du Ceta [accord commercial entre le Canada et l’Union européenne] ? » interroge Claire, de Marseille. « Compte tenu de nos informations, du rapport commandé par Nicolas Hulot sur la compatibilité du Ceta avec le climat, du travail parlementaire et du veto climatique que nous avons mis en place, si on ne ratifie pas le Ceta, on ne signera plus d’accord avec qui que ce soit », a tranché M. Macron. « Pourquoi attendre 2040 pour interdire les bouteilles en plastique ? », questionne Francine, de Manosque. « Interdire dans six mois est impossible, il y a des stocks. Des dizaines de milliers de citoyens travaillent dans ce secteur. On ne peut pas leur dire du jour au lendemain que leur travail n’existe plus. Il faut aussi trouver un substitut écologiquement mieux-disant », a plaidé le Président. Quid de la création du crime d’écocide, que la majorité La République en marche a rejeté le 12 décembre dernier à l’Assemblée nationale ? « Ce travail n’a de sens que si on le fait au niveau international. Il faut une position européenne sur ce sujet. Je suis sceptique sur ses effets si on ne le reconnaissait qu’au niveau français. »

Le président vante « la merveilleuse métaphore du colibri »

Et, surtout, « le système économique actuel, incitant à produire et consommer toujours plus, est-il compatible avec la transition écologique ? » se demande Pauline, de Vendée. « Je crois que l’économie sociale de marché, ouverte et productive, choisie après la Seconde Guerre mondiale, est compatible avec le climat, a soutenu M. Macron. Les deux problèmes actuels sont la financiarisation de l’économie et le capitalisme d’accumulation. On ne contraint plus suffisamment les plus gros », a poursuivi le président dont une des premières décisions a été d’alléger l’impôt sur la fortune. De même, le Président a défendu une économie mondialisée et les échanges internationaux, sans mentionner leurs impacts en termes d’émissions de gaz à effet de serre. « La fermeture, le localisme ne sont pas des solutions », a-t-il affirmé, évoquant seulement la nécessité de « mécanismes de convergence sur les règles sanitaires » au niveau européen et de « mécanismes de compensation de l’impact carbone » pour les produits provenant reste du monde. Plutôt que de changer de système économique et énergétique – il a profité de son audition pour glisser un mot en faveur du nucléaire, « mieux-disant en termes d’émissions de gaz à effet de serre » –, il a préconisé la responsabilisation de la population, évoquant la « merveilleuse métaphore du colibri » et appelant les citoyens à la « frugalité énergétique ».« Les consommateurs ont une énorme force qui est celle de choisir », a-t-il soutenu, en faisant référence au choix de son assurance-vie.

Yolande : « Le droit de manifester n’est plus respecté par le gouvernement et la police »

Yolande : « Les richesses produites par les travailleuses et les travailleurs parfois très pauvres ne ruissellent jamais sur eux. Qu’entendez-vous par justice sociale ? »

Y compris pendant l’heure consacrée aux échanges libres, les questions et les prises de parole sont restées très policées. Seule Yolande, Gilet jaune de Douarnenez en Bretagne, a réellement attaqué le Président sur son bilan : « Les salariés qui travaillent à plein temps ne peuvent plus vivre décemment. Certains, bien qu’ils touchent un salaire, ne peuvent plus payer leur logement et se retrouvent à vivre dans leur voiture. Il y a encore des gens qui meurent dans la rue. Les services publics, seuls garants d’un État protecteur, sont peu à peu vendus au privé. L’accès à la santé est devenu un parcours du combattant. Il n’y a jamais eu autant de manifestations qu’en ce moment, alors même que le droit de manifester n’est plus respecté par le gouvernement et la police. Les richesses produites par les travailleuses et les travailleurs parfois très pauvres ne ruissellent jamais sur eux. Qu’entendez-vous par justice sociale ? » « Je vous invite à regarder l’évolution de la fiche de salaire d’un travailleur au Smic : ses revenus n’ont jamais augmenté si rapidement et c’est l’État qui a pris en charge cela, pour ne pas nuire à la compétitivité des entreprises. Il y a encore eu cinq milliards de baisse d’impôt en janvier. Je ne vais pas payer pour mes prédécesseurs. Les causes profondes viennent parfois d’avant », a rétorqué M. Macron. Qui a tout de même reconnu, à demi-mots, une « erreur » sur la taxe carbone : « Elle a été votée avant que je sois élu. Quand je suis arrivé, nous l’avons mise en place comme si de rien n’était. Elle était douloureuse, il aurait donc fallu qu’elle soit transparente et que ses recettes soient utilisées contre le réchauffement climatique et pour accompagner les plus modestes. Nous ne l’avons pas fait, ce qui a abîmé son acceptabilité sociale. » S’il a affirmé ne pas vouloir « préempter » les propositions de la convention, il a appelé ses membres à réfléchir à des mécanismes de compensation pour les plus pauvres aux déplacements contraints.

Des citoyens pas vraiment convaincus

« Il a été éloquent, a admiré Amel, une jeune membre de la Convention, à la sortie de l’audition. Malheureusement, je n’ai pas assez de connaissances pour démêler le vrai du faux. Il y a pas mal de différences entre ce que disent les politiques et ce qu’ils font. C’est vrai qu’il y a beaucoup de manifestations sous son quinquennat. Il dit que c’est à cause de ses prédécesseurs, mais sous son prédécesseur il était ministre ! Cette audition donne envie de le croire mais il est difficile d’avoir confiance à 100 %. »

Angela, 46 ans, élève aide-soigante en Seine-et-Marne, trouve « positive » cette intervention du président. « On verra dans quelques temps s’il nous suit ou nous laisse tomber », poursuit-elle prudemment. Ce qui l’inquiète, c’est le manque de temps pour élaborer des propositions réellement solides sur le plan juridique. « Beaucoup d’intervenants parlent avec un langage technique. Certains membres ont fait des études mais d’autres non. Il faut du temps pour digérer, comprendre, comparer. »

Sébastien, 31 ans, chaudronnier dans les Alpes-de-Haute-Provence, est quant à lui sorti encouragé de la soirée. « Ce n’est pas tous les jours qu’on peut s’adresser librement au Président. On va essayer de sortir un truc propre. On va y arriver mais tout juste, sur les rotules. » « C’était un débat constructif », renchérit Marine, 21 ans, étudiante en administration économique et sociale à Metz.

Des personnes interrogées, seule Yolande est sortie de l’audition complètement sceptique. « Le Président dit qu’il a eu une révélation sur la biodiversité et le climat mais c’est un jeu politique, il fait sa communication. La taxe carbone, qui la paye ? Les pauvres qui n’ont pas assez pour remplacer leur vieux diesel et sont obligés de rouler pour aller au boulot. Compenser pour les aider ? Pourquoi on ne taxe pas plutôt les yachts et les avions ? Pourquoi il n’a pas déjà mis en place une taxe sur les Gafa ? De toute manière, il l’a dit, il est pour l’économie de marché. »


EMMANUEL MACRON, CANCRE CLIMATIQUE

La conversion climatique du président de la République ? Les ONG du mouvement climatique et social en doutent. Vendredi 10 janvier, quelques heures avant l’audition de M. Macron, elles ont livré leur bilan – désastreux –, de l’action climatique du gouvernement. Ainsi, les budgets carbones de la France ont été dépassés chaque année entre 2015 et 2018, avec un dépassement de 4,8 % en 2018, en particulier dans les secteurs du transport et du bâtiment. Face à ces mauvais résultats, plutôt que d’accélérer l’adoption de mesures, le gouvernement a préféré baisser les objectifs pour 2023 de budget carbone et de baisse de consommation d’énergie dans la stratégie nationale bas carbone. En matière de transports, malgré quelques avancées inscrites dans la loi d’orientation des mobilités (zones à faibles émissions, plan vélo), les émissions liées aux véhicules neufs ont augmenté entre 2016 et 2018, ainsi que la part du fret routier dans le transport de marchandises et la consommation de kérosène. Le plan de rénovation énergétique des logements affiche un retard abyssal, le secteur du bâtiment dépassait de 14,5 % son objectif de réduction des émissions en 2018 et il est toujours possible pour les propriétaires de louer une passoire énergétique, en dépit des promesses de campagne de M. Macron. La France est également à la traîne dans le déploiement des énergies renouvelables, préférant investir dans le maintien coûte que coûte d’un parc nucléaire en fin de vie. Idem pour les projets d’infrastructures dévoreurs de terres agricoles : si le gouvernement a abandonné les projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et de méga-centre commercial Europacity, il ne renonce pas aux multiples projets de contournements routiers et d’extensions aéroportuaires, malgré l’objectif de « zéro artificialisation nette » inscrit dans le plan biodiversité.

Pour Véronique Andrieux, directrice du WWF, l’exemple de l’huile de palme illustre parfaitement le grand écart entre les discours et les actes du président de la République. « Depuis douze mois, on voit les forêts brûler partout dans le monde, notamment en Amazonie. Le gouvernement français pousse pour une réglementation européenne contre la déforestation importée et a adopté il y a un an une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. Mais dans le même temps, il fait son maximum pour maintenir l’avantage fiscal accordé à l’huile de palme, alors même que l’Assemblée nationale a rejeté cet avantage deux années de suite, en 2018 et 2019 ! » Et quand le Parlement lui ferme la porte, le gouvernement tente sa chance par la fenêtre. « Le 19 décembre 2019, on a découvert une note exonérant certains produits de l’huile de palme, les Palm Fatty Acid Distillate, de la suppression de l’avantage fiscal. Ce qui est à la fois contraire aux discours du gouvernement, à la stratégie nationale contre la déforestation importée et à la réglementation européenne », s’est-elle insurgée.

Les ONG accusent le gouvernement de se dissimuler derrière la Convention citoyenne pour le climat pour remettre à plus tard des décisions importantes en matière de climat et de biodiversité. Mais elles veulent néanmoins croire en cette assemblée tirée au sort. « Ce qui est intéressant, ce sont les inquiétudes formulées par le gouvernement sur une radicalisation de la convention, observe Cécile Duflot, directrice d’Oxfam. La convention respecte la composition sociale, géogaphique et politique de la France, et a compris la nécessité d’un changement de modèle. C’est encourageant ! »

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