Télécharger cet article en PDF
  • PARIS CLIMAT 2015-2035

La conférence de Paris dans l'historique des négociations climatiques (Annexe)

Par Romain IOUALALEN

La 21e Conférence des Parties (COP21) à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s’annonce comme le rendez-vous diplomatique majeur de l’année 2015. Sous-estimer l’importance de cette négociation serait une grave erreur, tant les points qui y seront abordés et sur lesquels un accord devra être trouvé sont nombreux et lourds de conséquences. Cependant, la COP21 ne sera ni le début ni la fi n des négociations climatiques internationales, mais seulement un point d’étape crucial dans un processus débuté il y a plus de vingt ans.

À la fin des années 1980, un nombre croissant de travaux scientifiques démontre que les émissions humaines de gaz à effet de serre sont le principal facteur dans l’élévation des températures mondiales et dans les perturbations climatiques qui en découlent. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publie son premier rapport en 1990 qui tire pour la première fois la sonnette d’alarme. Cette prise de conscience internationale donne lieu, en 1992, à la signature de la CCNUCC, dont l’objectif principal est la stabilisation des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre à un niveau permettant d’éviter « toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique »(1).

La Convention établit un certain nombre de principes fondamentaux des négociations climatiques, au premier rang desquels celui d’une action internationale régie par une « responsabilité  commune mais différenciée et des capacités respectives ».

En clair, les pays industrialisés doivent porter la responsabilité de la nécessaire réduction des émissions et reçoivent l’obligation de soutenir financièrement et techniquement un développement économique soutenable dans les autres pays.

 

Afin de donner une substance à la Convention, les États négocient le Protocole de Kyoto lors de la COP3 en 1997, lequel met pour la première fois sur la table des objectifs chiffrés de réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour les pays développés : - 5 % d’émissions par rapport à 1990 entre 2008 et 2012. Alors que l’Union européenne profite de l’impulsion donnée par Kyoto pour mettre en oeuvre ses premières politiques climatiques (notamment le marché européen du carbone en 2005), les États-Unis de George W. Bush refusent de ratifier le Protocole, qui entre néanmoins en vigueur en 2005 pour les autres pays signataires.

 

Immédiatement après l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto débutent de nouvelles négociations sur l’ « après-Kyoto », à savoir la politique climatique internationale à partir de 2012. La signature d’un nouveau traité plus ambitieux doit se faire en 2009 à Copenhague. En raison des messages scientifiques de plus en plus clairs sur la gravité de la crise climatique de la part du GIEC, les attentes de la société civile, de l’opinion et des médias par rapport à cette conférence atteignent des niveaux irréalistes. Par conséquent, quand Copenhague échoue à établir un cadre post-Kyoto et ne résulte que sur un accord politique pour limiter le réchauffement planétaire à + 2°C par rapport à la période pré-industrielle, une période de démobilisation et de fatalisme s’ensuit, accentuée par la crise économique mondiale.

 

Dans une large mesure, Paris devra achever le travail qui aurait dû l’être à Copenhague, à savoir mettre en place un successeur au protocole de Kyoto qui, s’il aura eu le mérite d’initier des actions dans différents pays, n’aura pas permis de faire baisser les émissions mondiales de GES. Pour ce faire, la COP21 devra apporter des réponses à certaines questions fondamentales que les négociations climatiques tentent de résoudre depuis 1992. C’est à l’aune de ces réponses, et de leur compatibilité avec les recommandations des scientifiques du climat que devra être jugé le futur Accord de Paris.

 

La première question concerne l’ampleur, le rythme et la répartition de l’effort mondial de réduction des émissions de GES. Le dernier rapport du GIEC, publié en 2013 et 2014, nous indique que les émissions mondiales devront être réduites de 40 à 70 % entre 2010 et 2050 si nous voulons conserver une bonne chance de rester sous les 2°C.

Un rapport récent du PNUE(2) montre même que les émissions nettes de CO2 au niveau mondial devront être nulles ou négatives en 2055 pour tenir cet objectif. Se profile ainsi de manière de plus en plus évidente un défi technologique, économique et social d’une ampleur gigantesque : la sortie totale des énergies fossiles dès 2050. L’objectif principal de la COP21 sera donc la signature d’un accord qui mette le monde sur une trajectoire permettant de relever ce défi. Or, force est de constater que les promesses faites par les différents États pour 2020 et 2030 sont aujourd’hui largement insuffisantes. La COP21 devra donc déboucher sur des mécanismes qui permettent de rehausser périodiquement le niveau d’ambition et qui contraignent les pays à tenir leurs engagements.

 

Des éléments nouveaux sont par ailleurs à prendre en considération : 60 % des émissions de GES se font désormais dans les pays en développement, et la Chine émet autant que les USA et l’Union européenne réunis(3). Les émissions par tête en Chine dépassent même désormais celles de l’Union européenne. La deuxième question sera donc celle de l’équilibre à instaurer entre la nécessité impérieuse de réduire les émissions de GES partout où elles ont lieu et une équité réelle dans la répartition de cet effort, selon les capacités et responsabilités respectives de chaque pays. Il s’agira là d’un des points les plus contentieux de ces négociations.

 

La troisième question concernera les moyens dont disposeront les pays en développement pour adapter leur économie aux conséquences inévitables des changements climatiques dont ils ne sont que très marginalement responsables. Les 100 milliards de dollars par an promis par les pays développés pour 2020 seront la clé du futur Accord de Paris : si les pays en développement ont le sentiment qu’ils recevront effectivement ces sommes, la signature d’un accord leur paraîtra beaucoup moins risquée. L’abondement récent par les pays développés du Fonds vert pour le Climat, qui se veut un des véhicules principaux de ces transferts financiers, est donc une bonne nouvelle pour la COP21. Une question corollaire sera celle des moyens technologiques et de compétences mis à disposition de ces pays pour les assister dans l’effort de développement propre qui leur sera demandé.

 

Enfin, Paris devra mettre sur pied une gouvernance mondiale pour la préservation des puits de carbone naturels, principalement les forêts tropicales et les sols, ainsi qu’un cadre d’action pour soutenir le développement d’une agriculture écologique.

 

Les États devront apporter des réponses claires et ambitieuses à ces questions cruciales. Vaste programme, diront certains. Impossible, diront d’autres. Cela est pourtant nécessaire et urgent. Partout, les initiatives locales de transition énergétique et écologiques se multiplient, prenant ainsi de vitesse un processus onusien profondément inerte. Des forces énormes de créativité, d’ingéniosité et de solidarité n’attendent qu’un signal fort des gouvernements du monde entier pour lancer l’assaut contre la crise climatique mondiale. Ce sera aux gouvernements du monde entier, réunis à Paris en décembre 2015, d’accompagner ce mouvement et, ce faisant, de tenter de trouver la quadrature du globe.

 

 

1 _ CCNUCC, article 2, 1992

2 _ United Nations Environment Programme, Fifth Emissions Gap report, 2014

3 _ Netherlands Environmental Assessment Agency, Trends in global CO2 emissions, 2013